Loïc Léry, le braqueur du gang des Antillais devenu aide-soignant
Loïc Léry, le braqueur du gang des Antillais devenu aide-soignant
Par Gladys Marivat (contributrice Le Monde Afrique)
Arrivé en métropole dans les années 1970 puis tombé dans le banditisme, le Martiniquais a raconté son histoire dans un livre qui vient d’être adapté au cinéma.
Loïc Léry, ancien braqueur du gang des Antillais, à Fort-de-France. | DR
Un jour de 1984, Loïc Léry marche dans la cour de la prison de Poissy, en région parisienne. Tombé pour braquage, il ne pense qu’à « rentrer au pays ». Un homme s’approche. C’est Charlie Bauer. L’ancien complice de Jacques Mesrine a quinze ans de prison derrière lui. Les deux hommes se connaissent de réputation mais ne sont pas amis. Ce jour-là, Bauer lui donne un « bon conseil » que Léry cite de mémoire, plus de trente ans après : « Tu sais Loïc, le monde est rempli de crapules. Tu as deux solutions. Soit tu les butes, soit tu les évites. Il vaut mieux les éviter. Parce qu’il y en a tellement que s’il fallait que tu les butes toutes, tu finirais ta vie en prison. »
Aujourd’hui aide-soignant à Fort-de-France, Loïc Léry, 57 ans, vit « dans un endroit magnifique, entre la mer et la campagne », entouré d’oiseaux qu’on entend chanter à l’autre bout du fil et on pense à « Colibri », son surnom au temps des braquages. Cette époque, il l’a racontée dans un livre, Le Gang des Antillais, écrit en 1986, adapté en cette fin d’année au cinéma par Jean-Claude Barny. « La réalité était plus dure que dans le film, remarque-t-il. Dans la vraie vie, Jimmy se retrouve seul avec deux enfants et non un seul. » Loïc Léry parle de lui à la troisième personne. Jimmy Larivière, c’est le pseudo qu’il s’est choisi quand il a décidé de raconter son histoire. Jimmy en hommage à Hendrix et Larivière en référence au proverbe antillais qui dit « Ce qui te revient naturellement, la rivière va te l’apporter ». Qu’importe les obstacles. Et ils n’ont pas manqué.
« En France, il découvre qu’il a un accent et qu’il est noir »
« Je suis né d’un père marin pêcheur qui tenait à sa liberté et d’une mère qui était agent hospitalier parce qu’elle voulait être fonctionnaire. Il était nègre, elle est mulâtresse. Beaucoup plus douce que lui et très attachée à la religion. » Troisième enfant – il y en a sept – de ce couple de contraires, Loïc Léry, « assez fougueux » à l’école, est envoyé à Paris. Il a 13 ans. Nous sommes au début des années 1970, dans l’ère du Bumidom.
Créé par le gouvernement français en 1963, ce bureau organise, jusqu’en 1981, la venue dans l’Hexagone de plus de 70 000 Antillais et Réunionnais pour lutter contre la surpopulation et la révolte qui commence à gronder dans les départements d’outre-mer. Des dizaines de milliers d’ultramarins feront ainsi le voyage par leurs propres moyens, influencés par le discours ambiant qui leur promet un travail et une vie meilleure. Léry est de ceux-là. Le choc n’en sera que plus rude. L’adolescent vit chez son frère, dans le 10e arrondissement. Au collège, le professeur crie : « Léry ! Lecture ! » Il lit à haute voix et la classe entière éclate de rire, professeur compris. Dans la cour, les enfants jouent avec ses cheveux. Il ne supporte pas. « Je leur casse la gueule, c’est tout ce que je peux faire », se souvient-il.
En Martinique, c’était un élève fougueux mais doué en français. « En France, il découvre qu’il a un accent et qu’il est noir. Il découvre le racisme », poursuit-il, parlant de nouveau de lui à la troisième personne. Il quitte l’école deux ans plus tard.
« Le Gang des Antillais » : « Nous voulons réhabiliter l’image de l’homme noir en France »
Durée : 10:50
A 17 ans, il enchaîne les petits boulots : balayeur, coursier, vendeur dans la téléphonie et agent à l’hôpital Necker. Il connaît « une métropolitaine » avec qui il fera deux enfants. Ils emménagent dans un studio. Le couple n’a pas d’argent, elle n’arrive pas à garder un travail, ses parents à elle n’acceptent pas leur union. Le couple s’isole. Parfois, Loïc héberge des amis dans le besoin. La femme n’accepte pas. « Mes copains partent et c’est là qu’ils tombent dans le braquage », explique-t-il, donnant l’impression que le gang des Antillais serait né d’une dispute conjugale. Loïc Léry envoie son fils chez sa mère aux Antilles, il ne s’en sort pas. « Alors, j’ai revu mes copains et, comme ça n’allait pas, j’ai fait des braquages et j’ai été arrêté », résume-t-il. Il n’en dit pas plus sur les braquages, tout est dans son roman. Le filon des bureaux de poste, puis la banque, pour faire un gros coup avant de se retirer. L’arrestation, le 12 octobre 1979. Léry n’aura passé qu’un an avec le gang des Antillais. Il en prend pour dix. Il en fera sept. Il veut qu’on dise qu’il avait envoyé sa fille chez sa mère avant son arrestation.
Educateur à la rescousse
En attente de jugement, il est incarcéré à Fleury-Mérogis, bâtiment D2, où le racisme fait la loi. Passé à tabac, le jeune homme se venge en blessant au couteau son agresseur et passe huit jours au mitard. A l’isolement, Léry commence à lire. Angela Davis, Frantz Fanon, Cheikh Anta Diop et Aimé Césaire. « Je découvre mon “moi” antillais, se souvient-il. Je comprends que ma condition de nègre est plus forte que ma nationalité française, même si je ne la renie pas. » Le directeur de la prison, interpellé par ce Noir qui fait entrer des livres révolutionnaires, appelle un éducateur à la rescousse : Patrick Chamoiseau. Celui qui obtiendra le Goncourt 1992 avec Texaco n’a encore rien publié mais écrit beaucoup. Il offre un cahier à Léry et lui conseille de faire de même. Le prisonnier cherche sa voix. Chamoiseau lui apporte Qu’on lui jette la première pierre de Chester Himes, inspiré de sa vie en prison. Du fond de sa cellule, Léry écrit sans relâche et manque les deux promenades quotidiennes.
Fin 1984, il a fini son livre. On l’appelle enfin pour son procès. Envoyé à Poissy, il demande son transfert à Fort-de-France, qu’il obtient deux ans plus tard. Il a 27 ans. En Martinique, son livre est un succès, mais pas assez pour le faire vivre. Alors, il devient pêcheur comme son père, puis agent hospitalier comme sa mère. Est enfin titularisé.
Loïc Léry milite au MIM, le Mouvement indépendantiste martiniquais. Braqueur et militant, il n’a pourtant pas mobilisé les intellectuels parisiens comme ses contemporains « gaucho-brigands » Pierre Goldman, Charlie Bauer ou Roger Knobelspiess. « Les gens pensent que comme vous êtes indépendantiste, vous êtes raciste, affirme-t-il. Si je m’étais accroché au drapeau tricolore, ça aurait été différent. » L’envie d’écrire ne l’a pas quitté. Il termine un roman, Le Rocher empoisonné, qui sortira bientôt.
Le Gang des Antillais de Loïc Léry, Caraïbéditions, 1986 (152 pages, 17,25 euros).