Admission à l’université, vers plus de transparence ?
Admission à l’université, vers plus de transparence ?
Par Camille Stromboni
Analyse. Derrière le phénomène de judiciarisation de l’accès à l’université se cache l’absence de volonté politique face au tabou de la sélection.
« Tout étudiant qui n’aura pas obtenu de place dans les masters auxquels il aura postulé devra se voir proposer une inscription dans une autre formation de master ». (Photo : Le secrétaire d’Etat à la recherche et à l’enseignement supérieur Thierry Mandon, lors d’une séance de questions au gouvernement, à l’Assemblée nationale, à Paris, en mars 2015). | CHARLES PLATIAU / REUTERS
Le phénomène de judiciarisation est en marche à l’université. Depuis trois ans, on assiste à une multiplication des recours d’étudiants. C’est un étudiant qui attaque son université pour obtenir son diplôme de master à l’université de Strasbourg, contestant les règles de compensation des notes en vigueur dans sa faculté de droit.
Ce sont plusieurs dizaines d’étudiants qui sont allés devant la justice pour obtenir une place en master ou encore des bacheliers déçus de ne pas avoir accès à la licence qu’ils demandaient et qui ont finalement obtenu gain de cause à la suite d’une action en justice. Enfin, c’est sans compter les nombreux recours gracieux auxquels les universités répondent favorablement.
Certaines universités ont vu ces recours s’envoler. Ainsi, à l’université de Bordeaux, le volume d’affaires a été multiplié par sept, avec quelque 80 actions par an. « Longtemps, il y a eu une relative présomption de confiance envers l’institution, confirme Thierry Mandon, le secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. Désormais, il existe une exigence d’explication des décisions, sous peine de contestation, qui reflète une évolution globale du rapport entre individus et institutions dans notre société. »
A l’heure où les universités accueillent plus de 30 000 étudiants supplémentaires par an, ces attaques se cristallisent autour des processus d’admission en licence et en master. Pour les familles, l’université n’est pas sélective. D’où leur incompréhension quand leur enfant est refusé dans une formation. Le tirage au sort mis en œuvre lorsque le nombre de candidats est supérieur à celui de places ouvertes dans certaines licences universitaires n’est absolument pas admis. « Ce qui choque le plus les étudiants ou les bacheliers refusés dans des formations, ce n’est pas forcément la sélection en soi mais l’opacité du système », appuie l’avocat bordelais Jean Merlet-Bonnan, qui s’occupe d’une dizaine d’affaires concernant l’admission d’étudiants.
Terrain miné
Forcé de clarifier la situation, le gouvernement colmate : un arrêté est en préparation pour légaliser le tirage au sort en licence, en dernier ressort. En master, en revanche, la multiplication des jugements a révélé un tel vide juridique que le Conseil d’Etat a considéré toute sélection illégale en l’état actuel des textes, forçant le gouvernement à avancer sur ce terrain miné.
Il soutient une proposition de loi autorisant la sélection en master, en cours d’examen au Parlement. « A force de laisser perdurer un droit obsolète en détournant le regard, cela finit par vous sauter à la figurer », regrette M. Mandon, héritier de quinze années de laisser-faire des gouvernements mais aussi des universités. Ces dernières « se croient au-dessus des lois », dénonce Florent Verdier, le jeune avocat qui s’est fait une spécialité de la défense des candidats recalés en master.
Cette incursion du juge passe plutôt mal chez beaucoup d’universitaires, qui y voient une atteinte à leur autonomie pédagogique. « Nous avons besoin de plus de liberté pour expérimenter, dans l’intérêt des étudiants », se défend Gilles Roussel, président de l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée (Seine-et- Marne).
Jeu à trois bandes
Entre les universitaires et le pouvoir politique, le juge semble désormais bien installé comme le nouvel acteur d’un jeu à trois bandes. « Aux Etats-Unis, les tribunaux constituent déjà un espace de régulation majeur entre les universités, les étudiants et leurs familles », constate la sociologue Annabelle Allouch. Avec une différence notable par rapport à la France : « Les frais d’inscription très élevés impliquent un changement de statut des étudiants, consommateurs d’un service payant, d’où une tendance à solliciter plus facilement la justice », précise la maître de conférences à l’université de Picardie-Jules-Verne.
La question de l’admission se trouve néanmoins pareillement au cœur de la plupart des recours, les plus emblématiques arrivant devant la Cour suprême sur la politique de l’« affirmative action » (« discrimination positive »). En 2016, celle-ci a ainsi confirmé, dans le cas « Fisher vs. University of Texas », la possibilité de tenir compte de la « race », parmi d’autres critères, dans l’examen de la candidature d’un étudiant.
La France emprunte le même chemin. Désormais, l’université doit rendre des comptes à ses usagers, y compris s’il s’agit d’un candidat non admis. Et, comme l’université ne pourra pas accueillir toujours plus d’étudiants sans disposer de moyens nécessaires, il y a fort à parier que plus il y aura de sélection, ce qui est la tendance qui se dessine, plus les recours se multiplieront.
Sans compter le nouveau droit à la poursuite d’études pour les titulaires d’une licence, en cours de création, au côté de la sélection à l’entrée du master, qui laisse craindre un nouveau terrain fertile au contentieux. Les députés Les Républicains, qui y sont opposés, se sont déjà emparés de l’argument pour demander sa suppression, dans un amendement déposé à l’Assemblée nationale, où le texte est examiné à partir du 6 décembre.
Une application du droit compliquée dans les faits
Tout étudiant qui n’aura pas obtenu de place dans les masters auxquels il aura postulé devra se voir proposer une inscription dans une autre formation de master. Il pourra demander au recteur de lui faire trois propositions, en tenant compte de son projet professionnel et de l’établissement dont il est issu.
Mais l’application de ce droit promet d’être compliquée dans les faits. Comment le recteur pourra-t-il connaître tous les masters qui peuvent encore accueillir des étudiants ? Que se passera-t-il s’il n’y a plus de places disponibles dans les formations qui correspondent au projet du candidat ? Enfin le recteur pourra-t-il imposer à un responsable de formation d’accepter un candidat ?
Un portail en ligne intitulé Trouvermonmaster.gouv.fr est en cours de construction au ministère, dans un délai particulièrement serré, puisqu’il devra être opérationnel dans les prochains mois. Un défi qui a intérêt à être surmonté au mieux, sous risque de voir le juge y veiller lui-même.