Une vue aérienne au Brésil. | UESLEI MARCELINO / REUTERS

Nul n’ignore plus que le climat a sa conférence annuelle, la COP, dont la 21e édition s’est conclue, en décembre 2015, par l’accord de Paris, et dont la 22e session vient de se tenir à Marrakech, au Maroc. Plus rares sont ceux qui savent que la biodiversité a elle aussi sa COP : la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique (CDB). Cette faible visibilité est en elle-même symptomatique. Elle montre que le monde vivant reste pour les gouvernements une préoccupation subsidiaire, alors même que son appauvrissement est aussi alarmant que le dérèglement climatique.

La CDB fait pourtant partie des trois conventions des Nations unies adoptées lors du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro (Brésil) en 1992, aux côtés de celle sur le changement climatique et de celle – tout aussi méconnue – sur la lutte contre la désertification. A ce jour, 196 Etats en font partie, soit la quasi-totalité des pays, à l’exception notable des Etats-Unis, qui n’y ont qu’un statut d’observateur. Tous sont représentés à Cancun (Mexique), du 4 au 17 décembre, pour une « COP biodiversité » qui, de rythme bisannuel, en est à sa treizième session. Avec la volonté affichée d’enrayer le dramatique déclin de la biodiversité terrestre et marine.

Pression de plus en plus forte

Pour la faune et la flore sauvages, tous les voyants sont en effet au rouge. Le dernier rapport « Planète vivante » du Fonds mondial pour la nature (WWF) a pointé que plus de la moitié des vertébrés ont disparu en quarante ans et que, si rien n’est fait, ce sont près des deux tiers qui n’existeront plus d’ici à 2020. « La pression sur les milieux naturels est de plus en plus forte et la situation s’aggrave, observe Maïté Delmas, directrice des relations internationales au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, présente à Cancun. Une course contre la montre est engagée. »

Qu’attendre, face à ce sombre tableau, de la COP mexicaine ? Elle n’a pas vocation à prendre de grande décision comparable à l’accord de Paris sur le climat. Il s’agit surtout de dresser, à mi-parcours, un bilan de l’avancement des « objectifs d’Aichi », adoptés lors de la conférence tenue en 2010 dans la préfecture japonaise du même nom. Ces vingt objectifs, rassemblés dans un « Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 », s’inscrivent dans une vision à long terme, selon laquelle « la diversité biologique est valorisée, conservée, restaurée et utilisée avec sagesse, en assurant le maintien des services fournis par les écosystèmes, en maintenant la planète en bonne santé et en procurant des avantages essentiels à tous les peuples ».

Cette feuille de route énonce quelques principes vertueux, postulant par exemple que, « d’ici à 2020 au plus tard, les individus soient conscients de la valeur de la diversité biologique ». Mais elle fixe aussi des trajectoires précises, comme la protection d’« au moins 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures, et 10 % des zones marines et côtières », ou encore la réduction « de moitié au moins du rythme d’appauvrissement de tous les habitats naturels, y compris les forêts ». Or, à mi-chemin, le retard s’accumule, quand l’état de santé des écosystèmes ne se détériore pas.

Progrès insuffisants

« Des progrès importants ont été accomplis dans la réalisation de certains éléments (…). Cependant, dans la plupart des cas, ces progrès ne suffiront pas pour réaliser les objectifs établis pour 2020 », constate le secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, dans son dernier bilan.

Sur les vingt objectifs d’Aichi, seuls quatre sont réalisés ou en passe de l’être, au moins en partie : conservation de 17 % des zones terrestres et d’eaux intérieures, entrée en vigueur (depuis octobre 2014) du protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques, amélioration des connaissances scientifiques sur la biodiversité, élaboration par les Etats de plans d’action pour la biodiversité.

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Pour la plupart des autres, il n’y a « aucun progrès significatif » ou la progression se fait « à un rythme insuffisant ». Pire, pour cinq objectifs, « la situation se dégrade au lieu de s’améliorer ». Il en va ainsi pour la fragmentation des milieux naturels, la pollution par les engrais, la mise à mal des récifs coralliens, la protection des espèces les plus menacées, ou la sauvegarde des services écosystémiques (rendus par la nature, comme une eau de qualité ou la pollinisation des plantes) indispensables aux communautés locales les plus pauvres.

Cet affligeant constat est étayé par une étude que publient, mercredi 7 décembre, cinq ONG de protection de l’environnement. En compilant les engagements pris par 101 Etats membres de la Convention sur la diversité biologique, elles ont établi que seuls 10 % d’entre eux ont des objectifs nationaux à la hauteur des ambitions de la feuille de route d’Aichi, et que 5 % seulement sont en bonne voie de les atteindre.

L’Europe en retard

Globalement, les pays les moins développés se révèlent les mieux-disants, alors que les pays avancés sont à la traîne. En particulier, l’Union européenne dans son ensemble apparaît très en retard. « Pour les nations dont l’économie, l’agriculture, les transports ou l’urbanisme sont très développés, il est plus difficile de changer de braquet. Un pays en développement peut, s’il y est aidé, démarrer sur de meilleures bases pour ce qui est de la protection de la biodiversité », explique Isabelle Laudon, responsable des politiques publiques au WWF France.

Cette ONG s’est penchée sur le cas de la France, qui affiche selon elle « un bilan mitigé », en dépit de l’adoption, en juillet, d’une loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. La France fait figure de « bonne élève de la classe mondiale » grâce, notamment, à la création d’aires marines protégées représentant « plus de 20 % » du domaine maritime national, ou encore à l’interdiction, à compter de 2018 (avec dérogation possible jusqu’en 2020), des insecticides néonicotinoïdes tueurs d’abeilles. Mais « le compte n’y est pas sur d’autres points cruciaux », ajoute le WWF France, qui cite la libéralisation des tirs de loups ou le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Déclaration de Cancun

La cause de la vie sauvage est-elle alors perdue ? Samedi 3 décembre, en prélude à la COP proprement dite, les représentants des gouvernements, dont la secrétaire d’Etat française à la biodiversité, Barbara Pompili, ont adopté une « déclaration de Cancun » visant à intégrer la protection de la biodiversité dans les secteurs de l’agriculture, de la foresterie, de la pêche et du tourisme. « Si cette déclaration est mise en œuvre concrètement, ce sera parfait, réagit Isabelle Laudon. D’ici là, il faut agir, il y a urgence. On ne peut pas attendre le plan 2020-2030 pour que la question de la biodiversité soit prise en compte dans toutes les politiques publiques sectorielles, nationales comme régionales, avec les financements nécessaires. »

Pour garder espoir, on retiendra quelques signaux positifs envoyés depuis le Mexique. D’abord, la création, à l’initiative des Pays-Bas, d’une « coalition » pour la protection des pollinisateurs. Elle ne fédère pour l’instant que douze pays européens, dont la France, mais pourrait s’élargir dans les prochains jours. Ensuite, l’annonce, par le Brésil, d’un vaste plan de restauration de 22 millions d’hectares de sols déboisés ou dégradés. Il est vrai que, selon les relevés de l’Institut national pour la recherche spatiale, près de 8 000 km2 de forêts ont été détruits dans l’Amazonie brésilienne entre août 2015 et juillet 2016, soit 29 % de plus que l’année précédente. Jamais, depuis 2008, les coupes n’avaient été aussi massives au sein de ce réservoir de biodiversité unique au monde.