La Cour suprême des Etats-Unis relance la lutte contre les délits d’initié
La Cour suprême des Etats-Unis relance la lutte contre les délits d’initié
Par Stéphane Lauer (New York, correspondant)
La haute instance a considéré que le fait de partager des informations confidentielles sur une entreprise cotée à la Bourse à ses proches est illégal.
La rue de Wall Street à New York, le 6 juillet. | Mark Lennihan / AP
La lutte contre les délits d’initiés à Wall Street va pouvoir reprendre sa marche en avant. La Cour suprême des Etats-Unis a en effet rendu, mardi 6 décembre, une décision qui élargit considérablement le cadre des poursuites, prenant ainsi le contre-pied d’un jugement d’une cour d’appel datant de décembre 2014.
La Cour suprême a ainsi considéré que le fait de partager des informations confidentielles sur une entreprise cotée à la Bourse avec des amis ou des membres de sa famille, est illégal, quand bien même le tuyau n’a donné lieu à aucune forme de rémunération en retour.
Il s’agit d’un revirement spectaculaire par rapport à la décision de la Cour d’appel fédérale de New York, qui, il y a un peu moins de deux ans, avait annulé la condamnation de Todd Newman, ancien gérant de portefeuilles chez Diamondback Capital Management, et d’Anthony Chiasson, cofondateur du fonds spéculatif Level Global Investors, faute de preuves suffisantes.
Cette instance avait alors estimé qu’il aurait fallu prouver que les accusés savaient que la source à l’origine de la fuite avait touché pour cela une récompense tangible. Les procureurs, eux, avaient démontré que les accusés savaient que l’information avait fuité illégalement, mais pas nécessairement en échange d’un bénéfice sonnant et trébuchant. La cour d’appel est même allée plus loin dans ses attendus, en rejetant les affirmations des procureurs selon lesquelles un conseil professionnel ou amical pouvait constituer une récompense.
Un cadeau à son frère
Près de deux ans plus tard, la Cour suprême a donc été saisie du cas de Bassam Yacoub Salman, qui avait profité d’informations confidentielles qui émanaient de son beau-frère, Maher Kara, alors que celui-ci travaillait chez Citigroup Global Markets à New York. Celui-ci avait dans un premier temps confié le tuyau à son frère, Michael Kara, qui ensuite en avait parlé à M. Salman. Grâce à ces informations, qui concernaient des opérations imminentes dans le secteur de la santé, celui-ci avait réalisé un profit de 1,5 million de dollars. L’homme avait été condamné en première instance à trois ans de prison en 2013 avant qu’il ne fasse appel de la décision. Ses avocats avaient en effet plaidé qu’il ne pouvait pas être poursuivi du fait des relations familiales qui existaient avec l’initié.
Dans sa décision, le juge Samuel Alito, reprise à l’unanimité par les autres membres de la Cour suprême, a considéré que Maher Kara a divulgué des informations confidentielles sous la forme d’un cadeau à son frère dans l’espoir que celui-ci s’en serve. Il s’agissait en l’occurrence d’une violation du rapport de confiance avec son entreprise, Citigroup, une violation qui s’est prolongée lorsque M. Salman à reçu l’information pour jouer en Bourse. En clair, le partage d’une information confidentielle avec des proches est illégal, même si l’initié à l’origine de cette information n’a pas reçu de contrepartie en retour.
Cette lecture est de nature à remettre en cause celle de la Cour d’appel prononcée dans le dossier de Todd Newman et Anthony Chiasson, qui avait obligé le procureur fédéral de Manhattan Preet Bharara à renoncer à poursuivre plusieurs accusés de délit d’initiés. Ce dernier avait en effet pris acte que la Cour suprême des Etats-Unis avait refusé en octobre 2015 de se prononcer sur ce cas annihilant tout espoir de changement de jurisprudence.
« La Cour a défendu le bon sens »
Il aura donc fallu attendre l’affaire Salman pour assister à ce retournement spectaculaire, dont M. Bharara s’est réjoui mardi. « La Cour a défendu le bon sens et a affirmé ce que nous avons soutenu dès le départ : que la loi interdit absolument aux initiés d’avantager leurs amis et parents aux dépens des transactions publiques », a déclaré M. Bharara. « La décision d’aujourd’hui est une victoire pour l’équité des marchés financiers et pour ceux qui sont convaincus que le système ne devrait pas être truqué ».
Les premières conséquences de cette décision de la Cour suprême devraient s’appliquer dans le dossier concernant Leon Cooperman. Le gestionnaire du fonds spéculatif, Omega Advisors, l’un des financiers les plus en vue à Wall Street, est poursuivi depuis le mois de septembre dans une affaire de délit d’initié. M. Cooperman avait envoyé peu après une lettre aux clients qui avaient investi dans son fonds dans laquelle il expliquait que les procureurs fédéraux retardaient la procédure contre lui dans l’attente de la décision de la Cour Suprême sur le cas de M. Salman. Le sens dans lequel elle a été prise ne va certainement pas aider les avocats de M. Cooperman à plaider sa cause.