En Afrique, les organisations internationales surveillées de toutes parts
En Afrique, les organisations internationales surveillées de toutes parts
Par Simon Piel, Joan Tilouine
Les Nations unies, l’Union européenne et les organisations régionales africaines ont fait l’objet d’une surveillance électronique serrée de la part de la NSA et du GCHQ.
« Quel type de mitraillettes entendez-vous ? », « J’espère que tout va à Maiduguri » : Mohammed Ibn Chambas, président de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), se trouve à Monrovia, capitale du Liberia, ce 3 août 2009. Il envoie ces SMS à un contact à Maiduguri, au nord-est du Nigeria, où l’armée exécute des militants de la secte islamiste Boko Haram, qui deviendra plus tard un groupe djihadiste. Ces communications figurent dans un rapport d’écoute des services de renseignement du Royaume-Uni (GCHQ) extrait par Le Monde, en collaboration avec le site The Intercept, des archives de l’ex-consultant de l’Agence nationale de sécurité (NSA) américaine Edward Snowden, confiées à Glenn Greenwald et Laura Poitras. Comme lui, plusieurs employés de cette organisation régionale, dont le siège est à Abuja, au Nigeria, sont espionnés par le GCHQ. Même traitement réservé à l’Union africaine (UA) où l’on retrouve par exemple, parmi les cibles, l’adresse hotmail de Boubou Niang, alors conseiller spécial du médiateur de l’ONU et de l’UA au Darfour.
Les Nations unies, l’Union européenne et les organisations régionales africaines ont ainsi été l’objet d’attentions particulières. Une bonne partie des renseignements et analyses, des programmes, des budgets et des projets de ces organisations internationales sont confidentiels. Mais, apparemment, pas pour les services secrets britanniques.
Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) n’échappe pas à la surveillance des Britanniques. Avec ses 5 milliards de dollars de budget annuel (4,7 milliards d’euros), l’organisation est suivie de près par les grandes puissances, notamment en Afrique. La représentante du programme au Niger, où le PNUD est présent depuis 1977, Khardiata Lo Ndiaye, a ainsi été espionnée par le GCHQ en décembre 2009. Le choix du Niger n’est pas dû au hasard. L’organisation a défini ce pays sahélien comme l’un des moins développés au monde, et le budget qui lui est alloué par le PNUD est, logiquement, parmi les plus importants. Plusieurs adresses email du PNUD, de même que celle de Souley Boubacar, l’un des membres de l’équipe de communication de l’agence onusienne, figurent ainsi parmi les cibles britanniques.
La réponse de la NSA et du GCHQ aux révélations du « Monde »
« Nous ne faisons jamais aucun commentaire sur des sujets liés au renseignement, a indiqué au Monde le porte-parole des services de renseignement technique britannique (GCHQ). Néanmoins, notre travail est mené conformément au strict cadre juridique et politique qui veille à ce que nos activités soient autorisées, nécessaires et proportionnées, et à ce qu’un contrôle rigoureux puisse être effectué par le secrétaire d’Etat, par la commission parlementaire au renseignement et à la sécurité ainsi que par l’autorité de régulation des interceptions et du renseignement. De plus, le régime légal des interceptions pratiquées par le Royaume Uni respecte totalement la Convention européenne des droits de l’homme. »
De son côté, l’agence nationale de sécurité américaine (NSA) a fait savoir au Monde que « ses activités de renseignement sont en totale conformité avec le cadre juridique et politique en vigueur ».
Congo, Rwanda...
La Mission de l’organisation des Nations unies en République démocratique du Congo (Monuc, devenue Monusco en 2010) apparaît aussi parmi les relevés d’interceptions téléphoniques le 10 décembre 2009. Le contexte est sensible, notamment dans l’est du pays, en proie à un conflit armé où des groupes tutsi bénéficient du soutien du Rwanda de Paul Kagamé, principal allié des Britanniques dans la région. Les renseignements récoltés par cette mission de paix, la plus chère de l’histoire des Nations unies, sont suivis de près par Londres. A cela s’ajoute une surveillance des échanges électroniques du programme mondial de désarmement mis en œuvre par l’ONU.
Au sein des Nations unies, les services britanniques identifient parfois des cibles discrètes, mais qui peuvent détenir certains renseignements recherchés – par exemple, pour obtenir des informations à propos de l’Irak, une assistante chargée des budgets de missions onusiennes a été visée.
Les institutions européennes ne sont pas épargnées. Le socialiste espagnol Joaquin Almunia, en poste depuis 2004, apparaît ainsi dans un rapport d’écoutes de janvier 2009. Commissaire européen aux affaires économiques et monétaires en poste entre 2004 et 2010, puis en charge de la concurrence de 2010 à 2014, il a occupé plusieurs postes stratégiques qui l’ont par exemple conduit à infliger en mars 2013 une amende de 561 millions d’euros à Microsoft pour cause de violation des engagements pris à l’amiable par l’entreprise américaine, en 2009, afin d’éviter des poursuites pour abus de position dominante.
Documents Snowden : nos révélations
Le Monde a travaillé directement sur l’intégralité des documents Snowden, confiés par l’ancien agent de la NSA à Glenn Greenwald et Laura Poitras, en collaboration avec le site américain The Intercept, où ils sont stockés sous haute sécurité.
Ces documents montrent :
Comment la NSA et les GCHQ, les agences américaine et britannique de renseignement électronique, ont fait en sorte de pouvoir surveiller les téléphones portables utilisés à bord des vols d’avions commerciaux, en prenant très tôt Air France pour cible principale.
- Comment les services britanniques ont visé Octave Klaba, fondateur de l’hébergeur français OVH.
Cette brève sera actualisée au fur et à mesure de nos révélations.