Pedro Almodovar, « Le Cinéma d’Almodovar »
Pedro Almodovar, « Le Cinéma d’Almodovar »
Par Isabelle Regnier
18 longs-métrages et des heures de bonus réunis dans ce beau coffret consacré au cinéaste madrilène.
Dans les bonus d’Attache-moi !,un petit clip de quatre minutes condense toute l’insolence festive du cinéma d’Almodovar, et de l’esprit frondeur qui l’a vu naître entre le milieu des années 1970 et le début des années 1980. Tourné le soir de la première du film à Madrid, en 1989, il nous invite à l’arrière du break qui transportait à la cérémonie Rossy de Palma, Victoria Abril, Antonio Banderas et Loles León, tout de strass, de skaï et de fausse fourrure vêtus. Les visages fendus d’irrépressibles sourires, ces icônes de la Movida qui ont accompagné l’ascension du cinéaste chantent Resistiré, hymne à la vitalité sur lequel se clôt le film, qu’ils reprendront plus tard avec une fougue électrisante sur la scène d’un théâtre plein à craquer, non sans avoir entre-temps fendu la foule sur le toit d’un camion poubelle.
La joie brute, aux antipodes du spectacle dévitalisé auquel nous convient traditionnellement les festivités du 7e art, dit bien la singularité explosive de cette petite communauté qu’a longtemps fédérée autour de lui Pedro Almodovar. Réunissant 18 longs-métrages et des heures de bonus, ce beau coffret (auquel manquent Le Labyrinthe des passions et Matador, ainsi, malheureusement, que tous ses courts-métrages et films amateurs) rend hommage au talent de catalyseur de ce cinéaste, qui a si génialement mixé des formes inspirées de la tradition classique hollywoodienne avec des histoires tournées à même le bitume d’une Espagne en plein réveil, autour d’une nuée de personnages hauts en couleur, plus borderline les uns que les autres.
Brûlots et récits romanesques
Entre ses premiers brûlots pop et provocateurs qui renvoyaient dos à dos le patriarcat et la police comme la même queue de comète du franquisme (Pepi, Luci, Bom et autres filles du quartier, Dans les ténèbres, Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?…) et les grands récits romanesques à l’esthétique léchée qui ont fait de lui l’indétrônable prince espagnol du Festival de Cannes (Tout sur ma mère, Parle avec elle, La Mauvaise Education, Volver ou le tout récent Julieta), peu de choses ont changé au fond. Les ingrédients sont les mêmes – sexe, violence, couleurs éclatantes, chansons, émotions à vif, passions destructrices –, mais mixés dans des proportions différentes qui les rendent plus présentables.
Dans cette trajectoire, Attache-moi ! est un film charnière. Cette romance entre Ricky, orphelin désaxé qui décide de séquestrer la femme qu’il aime, une actrice porno tangentiellement héroïnomane, pour la convaincre de l’aimer en retour, fut classé X aux Etats-Unis, et lui ouvrit les portes de la renommée internationale. Rétrospectivement, les paroles de la chanson sur laquelle il se termine, alors que ses personnages filent sereinement sur une route toute droite, sonnent comme un manifeste : « Quand le monde perdra toute magie/Quand ce sera moi, mon ennemi/Quand la nostalgie me poignardera/Et que je ne reconnaîtrai même pas ma voix/(…) / Je supporterai les coups/Et je ne me rendrai jamais/(…) / Je résisterai, je résisterai. »
Le Cinéma d’Almodovar. 18 DVD. TF1 Vidéo et Pathé.