Un soldat français devant un Mirage à Amman, en avril 2016. | STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Les milliers de frappes aériennes conduites par la coalition internationale contre l’organisation Etat islamique (EI) en Irak et en Syrie ont fait reculer le groupe terroriste de façon significative sur le terrain, et la reprise de Palmyre, dimanche 11 décembre, n’inversera pas ce mouvement.

Des sources américaines disent que la coalition, dont les Etats-Unis assument plus de 90 % de l’effort, a tué 50 000 combattants à ce jour depuis le début de sa campagne en août 2014. « Soit 59 tués par jour en 850 jours », précise l’analyste Micah Zenko du Council on Foreign Relations, un groupe de réflexion américain, qui reprend ce chiffre. Celui-ci témoigne en creux de l’énorme capacité de régénération des forces de l’EI durant les deux premières années du conflit.

La France, qui se définit comme un pays « en guerre », ne communique pas le nombre des pertes de ses ennemis. Selon les recoupements du Monde, les Rafale et Mirage déployés depuis septembre 2014 ont tué au moins 2 500 combattants de l’EI à ce jour. L’engagement militaire français, estimé à 5 % des missions de la coalition, aboutit à 5 % des effectifs ennemis éliminés.

A l’occasion de la visite du président François Hollande sur le porte-avions Charles-de-Gaulle vendredi 9 décembre, l’Elysée a rappelé que, « depuis le début de l’opération, les avions de l’armée de l’air et de la marine nationale ont conduit plus de 5 000 sorties et neutralisé près de 1 600 objectifs en Irak et en Syrie ». Les bombardements français ont servi pour près de 90 % à l’appui des troupes irakiennes et kurdes combattant au sol en Irak.

Le Royaume-Uni, autre contributeur majeur, a indiqué fin novembre avoir touché 1 900 combattants, chiffre qui pourrait avoir été dépassé. Sur les douze derniers mois seulement, avec 1 300 frappes, la Royal Air Force a lancé onze fois plus de bombes que lors de l’année la plus engagée d’Afghanistan, a assuré le ministre britannique de la défense.

Manque de transparence

Les frappes occidentales sont conduites avec des munitions dites de précision. Elles ont inévitablement tué des civils, ce que le droit de la guerre admet si leur nombre reste limité, et si les règles de la discrimination entre combattants et non-combattants sont respectées. Or, les 13 pays « frappeurs » de la coalition ne reconnaissent que 152 morts civils pour 14 200 frappes aériennes anti-EI en Irak et en Syrie, entre août 2014 et août 2016, indique le collectif non gouvernemental Airwars dans son rapport publié lundi 12 décembre.

Selon cette association internationale de chercheurs et de journalistes, « au moins 1 500 non-combattants sont morts en raison des opérations de la coalition durant cette période ». Airwars rappelle que le ratio fourni par l’ONU dans les opérations aériennes d’Afghanistan était d’au moins un civil tué pour sept à dix frappes. La campagne irako-syrienne est intense. Le commandement américain pour le Moyen-Orient, Centcom, admet 62 incidents à la date du 1er décembre.

En novembre, « après vingt-huit mois de guerre, seuls les Etats-Unis ont admis des morts civils – 173 personnes tuées, ce qui représente moins de 10 % des 1 900 civils tués au minimum par la coalition selon les plus récentes estimations d’Airwars ». Pour le collectif, « les douze alliés des Etats-Unis continuent d’assurer qu’ils n’ont tué aucun civil – une revendication sans précédent vu que plus de 3 500 frappes aériennes non américaines ont été effectuées à travers l’Irak et la Syrie ». Les alliés les moins transparents sur leurs opérations sont la Belgique, les Pays-Bas, l’Australie et le Danemark, selon le groupe.

Au Royaume-Uni, la défense a investigué 43 cas et conclu qu’aucune victime n’avait été touchée. Une enquête sur la mort de deux personnes dans une frappe de F16 néerlandais n’a pas débouché – les Pays-Bas ont largué 1 800 bombes. La France affirme aussi n’avoir tué aucun civil en 1 000 frappes. Airwars note que Paris publie des communiqués hebdomadaires peu précis : « En raison de son refus de donner les dates exactes des frappes, la France peut se trouver impliquée sans raison dans des incidents où des pertes civiles sont alléguées. »

Le collectif salue cependant un geste encourageant. « Nous avons eu en septembre une première rencontre fructueuse avec les autorités françaises. Elles ont, au cours des derniers jours, répondu aux allégations que nous leur avons transmises sur la possible implication d’avions français dans sept incidents qui ont fait des victimes civiles en juillet. La France a indiqué que ses avions n’étaient pas engagés dans cinq des cas, mais a promis d’enquêter sur les deux autres », indique Chris Woods, le président d’Airwars.

Le premier incident, survenu le 7 juillet à Hawija, dans la province de Kirkouk, aurait fait cinq victimes civiles et douze blessés. Le 31 juillet, des avions français ont participé à des frappes sur des maisons situées près de l’université de Mossoul, qui pourraient avoir tué une vingtaine de civils.

Côté américain, « on n’est pas choqué par le rapport », confie une source du Centcom. « Nous avons répondu à un grand nombre d’interrogations. Notre procédure d’évaluation a évolué au cours de la campagne aérienne. »

Airwars salue les mesures prises depuis mai par le Centcom pour plus de transparence. Celui-ci croise ses données et celles d’Airwars, ce qui a permis l’ouverture d’enquêtes sur sept nouveaux incidents, mais aussi, à l’inverse, de réviser certaines de ses évaluations. Une source militaire estime que le nombre avancé de 1 500 victimes civiles en deux ans reste une estimation normale voire basse en comparaison à de précédentes campagnes aériennes.