Moins exposés à la publicité, les enfants seraient moins incités à consommer à outrance. | Florence Levillain/Signatures

Barbie, Lego et leurs copains sont priés d’aller squatter les chaînes privées. À compter de 2018, il n’y aura plus de réclame un quart d’heure avant, pendant, et un quart d’heure après les émissions destinées aux moins de 12 ans. La proposition de loi relative à la suppression de la publicité commerciale dans les programmes jeunesse de la télévision publique a été adoptée le 7 décembre à l’unanimité par le Sénat. Le père de ce texte, le sénateur écologiste des Hauts-de-Seine André Gattolin, justifie sa mesure par l’augmentation de l’obésité infantile et les situations de surendettement générées par la « volonté perpétuelle de consommer et d’acheter pour acheter ».

Une mesure populaire : 87 % des Français seraient favorables à cette loi selon un sondage Ifop réalisé du 15 au 19 septembre. Chez les Auteurs groupés de l’animation française (AGrAF), on salue « les intentions, louables » : « Les enfants sont trop exposés aux messages publicitaires, pas seulement à la télévision d’ailleurs », rappellent-ils dans un communiqué de presse cosigné par la Guilde des scénaristes et le Groupe 25 images (une association de réalisateurs télé).

« Les jeunes enfants ont du mal à faire la différence entre les dessins animés et les écrans publicitaires. » Catherine Cuenca, scénariste

« Quand je suis sollicité pour faire de la télévision, je le fais avec un brin de culpabilité, car la pub est responsable de bien des effets délétères sur la santé des enfants. La supprimer, c’est comme supprimer les sacs en plastique et l’huile de palme : ça va dans le bon sens, mais ça ne va pas être facile », illustre le réalisateur Jean-Jacques Lonni, dont la série Les Hymnes, la véritable histoire. God Save the Queen a été sélectionnée au Festival international du film d’animation d’Annecy 2017. Scénariste depuis plus de quinze ans, Catherine Cuenca ajoute : « Que le service public soit soumis au marketing et à la pub me pose un problème en tant qu’auteure mais aussi en tant que maman. Les jeunes enfants ont du mal à faire la différence entre les dessins animés et les écrans publicitaires qui reprennent les mêmes codes visuels. S’il n’y a pas d’adulte à côté pour les aider à décrypter l’image, ils tombent dans le piège de la consommation. » À l’entendre, « dans un monde parfait », la redevance devrait être augmentée pour financer la production de programmes de qualité sans pression de l’audimat. Comme sur la BBC ? Pas si vite !

« On nous fait déjà sentir que la pub sur les cases jeunesse rapporte moins qu’en access prime time. Alors, qu’en sera-t-il quand l’animation ne rapportera plus rien du tout ? » Claire Lehembre, scénariste

« Lorsque l’Angleterre a décidé de supprimer la pub du service public, cela a provoqué un vrai choc dans le monde de l’animation. Le nombre de séries a chuté et de gros studios ont dû fermer », raconte Stéphane Piera, qui a notamment réalisé Clé à molette et Jo (France 3) et La Dernière Réserve (TF1). Alors forcément, quand France Télévisions annonce un manque à gagner en recettes publicitaires de 20 millions d’euros, les acteurs du monde de l’animation s’inquiètent. « Nous espérons que cette suppression des publicités n’entraînera pas une baisse des investissements et des obligations de diffusion dans l’animation », martèle le communiqué de presse de l’AGrAF. Le service public investit à hauteur de 29 millions d’euros par an dans l’animation. Le communiqué rappelle que le secteur a déjà été fragilisé par la réduction des obligations des chaînes privées, la migration de l’animation vers des chaînes spécialisées moins rémunérées et des conflits sur les droits d’adaptation.

André Gattolin, lui, se veut rassurant. « Le service public ne peut pas réduire ses investissements au motif qu’il n’y aurait plus de publicité pour financer les séries d’animation : les recettes publicitaires ne sont pas fléchées ! » Un argument qui étonne la scénariste Anne-Claire Lehembre. « Quand on parle d’augmentation de revenu, on nous fait déjà sentir que la pub sur les cases jeunesse rapporte moins qu’en access prime time. Alors, qu’en sera-t-il quand l’animation ne rapportera plus rien du tout ? », s’interroge celle qui a participé à l’écriture des Minijusticiers et du Petit Prince.

Autant que l’inquiétude, c’est l’agacement qui domine chez les auteurs d’animation. Comme l’accoutumée, regrettent-ils, leurs organisations professionnelles n’ont pas été consultées alors que le processus conduisant à l’adoption de cette loi s’est étalé sur près d’un an et demi.

Pour les auteurs d’animation, la suppression des pubs pourrait amener une réduction du nombre de séries pour enfants et la fermeture de gros studios, comme cela s’est produit en Angleterre. | Soudan E./Alpaca/Andia.fr

« Nous n’intéressons pas les décideurs, se désespère Anne-Claire Lehembre. Cela n’a rien d’étonnant : au regard du nombre de personnes qui travaillent dans les studios, on est peanuts ! Et puis, on ne risque pas de venir gonfler les chiffres du chômage puisque nous n’y cotisons pas ! » Les sociétés de production, si. Pour le Syndicat des producteurs de films d’animation (SPFA), la pilule a également du mal à passer. À l’instar de l’AGrAF, il s’est fendu d’un communiqué de presse appelant à une « réforme de la redevance plus que jamais indispensable pour assurer la pérennité des moyens de France Télévisions et sa capacité d’investissement dans la création ».

On répète à l’envi la success story de l’animation française, caracolant en tête du marché européen et se situant sur la troisième marche du podium mondial, derrière les États-Unis et le Japon… « Jusqu’à quand ? », entonnent ses principaux acteurs.