De l’utopie du Bauhaus aux graffitis du Lasco Project, en passant par le théâtre engagé à Bastille, faites de ce week-end d’avant-Noël un temps culturel plutôt que commercial.

EXPOSITION. Le rêve de l’art pour tous du Bauhaus, à Paris

Josef Albers : Gitterbild (Grid Mounted) - verre, métal et fil métallique, 1921. | Fondation Albers.

C’est l’un des plus beaux rêves du siècle passé. Réinventer le beau pour un monde en train de naître, et l’offrir à tous. Voilà l’utopie portée par le Bauhaus de 1919 à 1933.

Quinze ans à peine, que racontent superbement les Arts décoratifs, à Paris, dans une exposition sans précédent en France. Et qui firent naître des expériences par milliers, tous azimuts : la célèbre école allemande permit à ses élèves de bricoler la céramique et le bois, le métal et le tissu, la photographie et l’édition, l’architecture et la danse, sans qu’aucun domaine surpasse l’autre.

Ainsi s’inventèrent tant de formes et d’objets qui, aujourd’hui encore, font partie de notre décor quotidien. L’exposition plonge le visiteur dans le quotidien de la singulière institution, décimée par le nazisme dès son avènement. Plutôt que d’insister sur les célébrités, elle nous propulse sur les bancs de classe, en exposant toutes sortes d’exercices de style proposés par les maîtres Vassily Kandinsky et Paul Klee.

Les icônes du design ne sont pas oubliées : du fauteuil de Gerrit Rietveld, inspiré de la rigueur de Mondrian, aux chaises à tubulure métallique de Marcel Breuer. Mais elles sont restituées avec bonheur dans le contexte d’une production des plus prolifiques. Emmanuelle Lequeux

Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris 1er. Jusqu’au 26 février 2017. Du mardi au dimanche, de 11 heures à 18 heures ; le jeudi jusqu’à 21 heures. De 8,50 € à 11 €.

THÉÂTRE. Les bruits de Rome, les échos du monde

Une scène de « Il cielo non e un fondale ». | Elisabeth Carecchio

Deux Italiens magnifiques, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, font ensemble, depuis dix ans, des spectacles simples et humains.

Après Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni (« nous partons pour ne plus vous donner de soucis »), dans lequel ils racontaient l’histoire de quatre retraitées grecques, étranglées financièrement, qui ont choisi de mourir pour ne plus peser sur la société, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini lèvent les yeux vers le ciel, qui n’est pas un décor, comme l’indique le titre de leur spectacle, Il cielo non e un fondale (« le ciel n’est pas une toile de fond »), présenté aux ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe.

Ils écoutent le bruit de leur ville, Rome, s’interrogent sur la place qu’ils y tiennent, les gens qu’ils rencontrent, la précarité qu’ils croisent dans les rues et les squares. Comme toujours, ils travaillent en artisans, humbles, précis et poétiques. Aucune esbrouffe dans leur théâtre, qui se contente du plateau nu, et tend la main au public, invité parfois à fermer les yeux, pour passer d’une scène à l’autre, et mieux être à l’écoute du monde. Brigitte Salino

Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe, 1, rue André-Suarès, Paris 17e. Tél. : 01-44-85-40-40. De 18 € à 36 €. A 20 heures, dimanche à 15 heures. Durée : 1 h 30. En italien surtitré. Jusqu’au 18 décembre.

EXPOSITION. Au Louvre-Lens, la Mésopotamie a tout inventé ou presque

Tête de « mushushshu », animal du dieu Marduk – Mésopotamie – époque néo-babylonienne, vers 1000-539 avant J.-C. – bronze – Paris, Musée du Louvre | © RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE DU LOUVRE)/FRANCK RAUX

Alors que les combats font rage à Mossoul, deuxième ville d’Irak, contre les djihadistes de l’organisation Etat islamique, l’exposition du Louvre-Lens (Pas-de-Calais) dresse le bilan de tout ce que l’on doit à la Mésopotamie, l’actuel Irak avec la frange nord-est de la Syrie.

C’est dans ce Croissant fertile  baigné par le Tigre et l’Euphrate que furent inventées, il y a 5 000 ans, l’écriture, les premières villes, l’architecture monumentale, le cercle de 360 degrés, l’année de douze mois ou encore la roue, et que s’est développée l’agriculture grâce à un système d’irrigation sophistiqué.

Une quantité de tablettes en argile, gravées de signes cunéiformes, la première écriture, illustrent abondamment ce propos, des contrats de mariage aux accords commerciaux, des rituels dédiés aux divinités aux travaux agronomiques. Cartes, cartels et tablettes numériques enrichissent le parcours de l’exposition qui présente des objets – sceaux-cylindres, vaisselle, statuaire… – provenant pour la plupart du Louvre de Paris, qui abrite le premier « musée assyrien », inauguré en 1847, avec les fameux taureaux androcéphales ailés, génies protecteurs provenant du palais de Khorsabad, au nord de Mossoul.

Un prêt exceptionnel du British Museum de Londres, parure féminine de colliers, pendentifs et diadème en or, cornaline et lapis-lazuli, exhumée d’une tombe d’Ur, illustre la sophistication du travail artisanal voilà 4 500 ans. Florence Evin

Louvre-Lens (Pas-de-Calais). Jusqu’au 23 janvier, tous les jours sauf le mardi, de 10 heures à 18 heures.

ARTS URBAINS. Le Lasco Project entre craie et Karcher au Palais de Tokyo

Détail de la fresque monumentale de Philippe Baudelocque au Palais de Tokyo. | E. Jardonnet

Dimanche soir, le Palais de Tokyo fermera ses portes jusqu’au 3 février. Ces derniers jours d’ouverture de l’année offrent une double occasion : celle de ne pas rater la « Carte blanche à Tino Sehgal », troublante exposition dont la matière première est la parole, mais aussi celle de découvrir le nouveau volet de l’aventure Lasco Project, programmation d’art urbain proposée dans les interstices du musée depuis 2012.

Pour ce « Lasco #7 », deux artistes français ont été invités à occuper les espaces architecturaux. Pablo Tomek transforme le jardin en contrebas du Palais en zone picturale de « travaux publics », reprenant sous les hautes arches les gestes des peintres de chantier comme les techniques des nettoyeurs de tags, dans des peintures à l’expressionnisme urbain abstrait.

A l’intérieur, Philippe Baudelocque s’est vu confier un monumental escalier de service sur cinq étages, qu’il a recouvert de noir du sol au plafond pour déployer jusqu’au vertige son délicat univers dessiné à la craie (grasse) blanche. Son bestiaire symbolique tutoie le cosmos comme l’infiniment petit, les éléments fusionnent, avec une percée réussie vers la science-fiction, où ce qui ressemble à des ruines de typo de graffiti dérive dans l’espace et la matière organique. Emmanuelle Jardonnet

Visites du Lasco Project vendredi, samedi et dimanche à 12 h 30 (durée 30 minutes, sur présentation du billet d’entrée à l’exposition principale) et dimanche à 15 heures (durée 1 heure, sur l’ensemble des projets, 2 € en plus du billet d’entrée). Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris 16e, de 12 heures à 20 heures.

EXPOSITION-VENTE. « Art is Hope », à Paris

Skall, Longing for Darkness, série noire, 2005 130 x 104 cm impression jet d'encre. Collaboration avec Thierry Demarquest.

La galerie Emmanuel Perrotin accueille pour trois jours 120 artistes. Des auteurs, mais aussi des galeristes et des collectionneurs privés qui lui ont confié chacun une œuvre à vendre : il ne s’agit pas d’enchères, mais de prix fixes dont le produit sera reversé à la recherche contre le sida. On y trouve des œuvres de Shila Khatami, Dan Levenson, Claude Lévêque…

C’est la troisième opération de ce type (après une exposition au Palais de Tokyo et une vente chez Piasa) organisée par l’association LINK créée en 2010 par une vingtaine d’entrepreneurs pour contribuer à tenter d’éradiquer la maladie. Harry Bellet

Art is Hope, Galerie Perrotin, 10 impasse Saint-Claude, Paris 3e. Tél. : 01-42-16-79-79. De 11 heures à 19 heures, jusqu’au 17 décembre.

LECTURE. Manifeste et mise en garde au Théâtre de la Bastille

Le 4 décembre, Alexander Van der Bellen, candidat écologiste, a remporté l’élection présidentielle en Autriche, face à son rival d’extrême droite, Norbert Hofer, dans un contexte tendu, marqué par la montée du nationalisme.

Pour donner un éclairage sur le sujet, déterminant dans l’Europe d’aujourd’hui, le Théâtre de la Bastille a décidé de faire entendre, un seul soir, samedi 17 décembre, un texte important écrit par Michel Vinaver en 2000. En juin de cette année-là, l’écrivain, majeur dans le paysage du théâtre français, s’est rendu aux Journées littéraires de Soleure, en Suisse, où il était invité. Pas pour y participer, mais pour expliquer son refus d’y participer.

Michel Vinaver voulait protester contre la visite que le chancelier autrichien, Wolfgang Schüssel, compromis avec l’extrême droite, avait faite en Suisse, deux mois plus tôt. Il a lu un texte, La Visite du chancelier autrichien, dans lequel il s’engage et met en garde : « Plus lourd de menace que l’ascension de l’extrême droite populiste en Autriche est l’accommodement de tout autre Etat à ce qui en résulte. Ainsi se répand le venin. » Le comédien Matthieu Marie fera entendre le manifeste en la présence de l’auteur. Brigitte Salino

Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, Paris 11e. Tél. : 01-43-57-42-14. A 18 heures. Entrée gratuite.