Les Gambiens de Dakar qui espéraient rentrer à Banjul veulent maintenant y envoyer l’armée
Les Gambiens de Dakar qui espéraient rentrer à Banjul veulent maintenant y envoyer l’armée
Par Salma Niasse (contributrice Le Monde Afrique, Dakar)
Les scènes de joie qui ont suivi les premiers jours de l’élection en Gambie ont fait place à la déception dans la communauté gambienne installée dans la capitale sénégalaise.
Assise sur son tapis de prière, les deux mains jointes, Fatou Diawara – le nom a été changé – implore que la crise politique en Gambie trouve une issue favorable. Ses enfants, qui n’ont jamais connu leur pays d’origine, jouent dans le salon où sont encore posées ses valises. Réfugiée aux Etats-Unis, Fatou voulait profiter de ses vacances à Dakar pour retourner dans son Banjul natal, ce jeudi 15 décembre. Voilà sept ans qu’elle a quitté la Gambie après que son mari a été persécuté par les « scorpions » du régime. « Il y avait une telle joie, une telle délivrance après que Yahya Jammeh a accepté la victoire de Barrow. J’ai tout de suite pris mon billet pour partir. Mais il faut croire que c’était trop beau pour être vrai », lance-t-elle avec amertume.
Comme Fatou, beaucoup de Gambiens résidant à Dakar sont partagés entre colère et déception, depuis le revirement de Yahya Jammeh qui a contesté, le 9 décembre, sa défaite après l’avoir accepté au lendemain du scrutin. Pour preuve, la mobilisation a été forte samedi 17 décembre, sur la place de l’obélisque, à Dakar, où s’était donnée rendez-vous la diaspora. Près de deux cents personnes ont scandé en chœur “Na dem”, qui signifie “qu’il parte” en wolof - langue parlée au Sénégal et en Gambie. Sur leurs pancartes et tee-shirts, on pouvait lire “La Gambie a fait son choix. Respectons-le” ou encore “Save the new Gambia.” « Nous manifestons pour que la volonté du peuple exprimée le 1er décembre soit respectée et pour soutenir les efforts des chefs d’Etat de la Cédéao (communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest) afin de trouver une issue pacifique à la crise », explique Seydi Gassama, directeur d’Amnesty international Sénégal.
Mais l’espoir brisé se lit sur certains visages, comme celle de cette dame, assise à l’écart de la foule. “On pensait enfin que nos cartes d’électeurs étaient utiles. J’espérais pouvoir retourner dans mon pays pour aller sur le tombeau de mon père. Qu’on le tue ce président de malheur !” lâche-t-elle, la voix tremblotante. « Je n’ai pas dormi la nuit de l’élection. Vers 21 heures, je me suis réveillée en sursaut parce qu’un cousin m’a annoncé que les premières tendances étaient favorables à Adama Barrow. Après cela, j’ai fait des prières toute la nuit » raconte Modou Mbaye, à Dakar depuis sept ans. « Comme Barrow avait gagné, j’avais prévu de rentrer pour retrouver ma femme et ma fille, mais là, je vais plutôt aller les chercher », dit-il. Adama Barrow était le candidat unique de l’opposition.
Depuis une dizaine d’années, la communauté gambienne s’est étoffée au Sénégal qui constitue souvent la première étape de l’exil. Amnesty International estime qu’ils sont quelques centaines de ressortissants. Passés la frontière, certains cherchent refuge aux Etats-Unis et en Norvège. D’autres s’installent dans les différentes régions du pays. On y trouve aussi bien des réfugiés politiques, des militaires, des commerçants mais aussi de nombreux journalistes employés dans les différentes rédactions dakaroises.
« Un dictateur qui perd des élections, ça n’existe pas ! »
Assane Cissé travaille à Dakar depuis cinq ans. Ce vendeur de chaussures qui avait dansé dans les rues de Grand-Yoff le jour de la proclamation des résultats, restait prudent malgré les félicitations de Yahya Jammeh au président élu, Adama Barrow. « Evidemment, je souhaite rentrer, c’est dur d’être loin de sa famille ! Mais j’attends de voir parce que ce n’est pas encore sûr. J’ai vu des Gambiens repartir le jour même où Jammeh est tombé mais selon moi, il faut s’attendre à tout avec lui. Quand on saura qu’il n’est plus vraiment président, je retournerai chez moi », expliquait-il au lendemain de l’élection.
Pour ce groupe de jeunes gambiens assis autour du thé, pendant la pause déjeuner, le revirement du président n’a pas été une grande surprise. « Nous n’avions pas besoin de vengeance, on voulait juste que Barrow travaille et redresse le pays » commente Omar Fall, marchand ambulant. « Un dictateur qui perd des élections, ça n’existe pas voyons ! Il faut que la Cédéao intervienne militairement, sinon personne ne retournera à la maison », renchérit un de ses collègues.
Mais selon l’ancien ministre des affaires étrangères du président Jammeh, Dr ML Sedat Jobe, réfugié dans la capitale sénégalaise pour avoir critiqué l’exécution de neuf prisonniers en 2012, l’armée gambienne ne soutiendra plus son actuel président. « Je vois que Yahya Jammeh a été très mal conseillé. Il a humilié ses collègues, les chefs d’Etat, qui sont venus le conseiller. Il ne comprend plus la discussion. La seule manière de régler ce problème serait une intervention militaire rapide qui soulagerait l’armée gambienne. Je suis sûr que celle-ci ne bougera pas pour le défendre parce qu’elle-même en a marre. »
La Cédéao, a déclaré samedi 17 décembre, lors de son sommet à Abuja, qu’elle prendrait « tous les moyens nécessaires pour faire appliquer le résultat du 1er décembre ». Le président nigérian Muhammadu Buhari et son homologue ghanéen sortant John Dramani Mahama ont été nommés médiateurs pour tenter de trouver une issue à la crise.