Facebook, parmi d’autres grandes entreprises du Web, a annoncé qu’elle refuserait d’aider à ficher les musulmans américains si on le lui demandait. | Dado Ruvic / Reuters

« Nous nous opposons à la discrimination et nous ne participerons jamais à la construction d’un registre des musulmans américains. » C’est ce qu’a déclaré, vendredi 16 décembre, Frank X. Shaw, porte-parole de Microsoft, au site Buzzfeed. Le même jour, Apple, Google, Uber et IBM tenaient des propos similaires, rejoignant les rangs de Twitter et de Facebook. Pourquoi ces grandes entreprises enchaînent-elles soudain ces annonces ?

Tout est parti d’un article du site américain The Intercept publié le 2 décembre. Avec un titre ravageur : « Sur neuf entreprises tech, seule Twitter dit qu’elle refusera d’aider à construire un registre des musulmans pour Trump. » Le média explique avoir posé la question à ces entreprises, car « l’idée a récemment été ressortie par l’équipe de transition de Donald Trump ». Le futur président américain avait laissé entendre, après les attentats du 13 novembre 2015 en France, qu’il mettrait « certainement en place » une base de données pour lister les musulmans présents aux Etats-Unis.

Interrogé à ce sujet plusieurs fois depuis, Donald Trump s’est montré très vague dans ses réponses, qui ont souvent varié. Si son équipe de campagne a assuré, dans un communiqué, que « le président-élu Trump n’a jamais prôné la mise en place d’un fichier ou d’un système répertoriant les individus en se basant sur leur religion », Donald Trump a plusieurs fois confirmé qu’il approuvait cette idée, tandis que dans une interview à ABC News, il précisait qu’il s’agissait non pas d’une liste des musulmans, mais d’une « base de données des réfugiés ». Aujourd’hui, sa position sur le sujet n’est toujours pas limpide.

La question posée par The Intercept aux entreprises était la suivante : « Est-ce que [nom de l’entreprise], si elle était sollicitée par l’administration Trump, vendrait des produits, services, informations ou conseils de quelque nature que ce soit pour aider à la création d’un registre national des musulmans, un projet évoqué par l’équipe de transition du président élu ? »

Seul Twitter avait accepté de répondre à la question, d’un simple « non ». Les autres n’avaient pas donné suite, à part Microsoft qui avait laconiquement répondu : « Nous ne nous prononcerons pas sur des hypothèses. »

Le courriel de Facebook envoyé par accident

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais quelques jours plus tard, un porte-parole de Facebook transmet par erreur à Buzzfeed un e-mail destiné à un autre salarié de l’entreprise. Dans ce message informel, le porte-parole compare cette affaire à un « straw man », une expression anglaise décrivant une situation dans laquelle une personne prête à son interlocuteur des idées qu’il n’a pas prononcées pour mieux l’attaquer. Un e-mail que décide de rendre public Buzzfeed le 14 décembre. Facebook est alors dos au mur : l’entreprise ne peut plus se taire. Elle finit donc par transmettre un communiqué à plusieurs médias dans lequel on peut lire : « Personne ne nous a demandé de construire de registre des musulmans, et bien sûr que nous ne le ferions pas. »

Facebook et Twitter s’étant exprimées sur la question, les autres grandes entreprises du secteur, jusqu’alors mutiques, décident de leur emboîter le pas. « Nous pensons que les gens doivent être traités de la même façon quelles que soient leurs croyances, leur apparence, les personnes qu’elles aiment. On ne nous a rien demandé, mais nous nous opposerions à une telle démarche », a ainsi déclaré un porte-parole d’Apple. « On ne nous l’a pas demandé, et bien sûr que nous ne le ferions pas », a également annoncé Google, tout en se réjouissant que « la proposition ne semble pas être sur la table ». IBM, Uber, Lyft, Medium ou encore Uber ont fait part de la même position. Désormais, les yeux se tournent vers les entreprises qui ne se sont pas exprimées, comme par exemple Oracle… dont le PDG, Safra Catz, vient de rejoindre l’équipe de transition de Donald Trump.

Rendez-vous avec Donald Trump

Ce débat intervient alors que des associations de défense des libertés numériques ont dénoncé la façon dont les autorités exploitaient parfois les données issues de ces plates-formes – la police américaine a ainsi utilisé celles de Facebook et de Twitter pour pister des manifestants. Une énième démonstration de la manière dont ces informations, couplées à des outils d’analyse de données ou de reconnaissance faciale, peuvent êtres détournées à des fins de surveillance.

Mercredi, les représentants de onze géants du Web étaient reçus par le vainqueur de l’élection présidentielle américaine dans la Trump Tower à New York, mais on ne sait pas si cette question du fichage a été évoquée.