Un nez souvent aussi gros que le reste du corps, des jambes aussi fines que celles des Shadoks, une expressivité inversement proportionnelle au nombre de traits utilisés, c’est-à-dire maximale… Rien ne ressemble plus à un dessin de Mix & Remix qu’un dessin de Mix & Remix, mais rien n’en est plus dissemblable, non plus, tellement est large la palette des situations croquées. Ces personnages minimalistes bien connus des lecteurs de L’Hebdo (Suisse), de Courrier international ou de L’Internazionale (Italie) ont perdu leur créateur. De son vrai nom Philippe Becquelin, le dessinateur suisse est mort lundi 19 décembre à l’âge de 58 ans.

En mars, Mix & Remix avait informé la rédaction de La Matinale, l’application du Monde pour laquelle il dessinait depuis quelques mois, qu’il devait renoncer à sa contribution après qu’un médecin lui avait diagnostiqué un cancer du pancréas. Dans son message figurait, en pièce jointe, un dernier strip, tiré de sa série L’Acturlututu, dans laquelle il décortiquait l’actualité à travers un personnage cloué devant sa télévision. Un fauteuil vide « écoutait » l’écran dire ses mots : « … Et maintenant la suite de nos informations… Au cas où je serais le seul survivant… de cette catastrophe mondiale… je laisse tomber le job ! »

Ainsi était Mix & Remix, capable de rire de tout. Pas un sujet n’échappait à sa dérision marquée du sceau de la fulgurance, et surtout pas la mort, encore moins la sienne qu’il savait imminente. « Comme Sempé, il appartient à la catégorie, en voie de disparition, des dessinateurs d’humour à la New Yorker qui se foutent de la politique et jouent plutôt sur des questions éternelles comme : l’ennui du couple, la menace de la mort, la mégalomanie ridicule, l’absurdité de l’existence, la solitude et toutes ces choses supermarrantes qui nous font bien poiler avant que nous nous suicidions en buvant une bouteille de Destop au Baroque à Genève sur fond de My Sweet Lord de George Harrison », écrivait Frédéric Beigbeder en 2012 – dont le dessinateur illustrait la chronique mensuelle pour le magazine Lire – dans la préface d’un recueil de dessins, Regags (Les Cahiers dessinés).

Un métier insolite au sommet d’un beffroi

Né le 6 avril 1958 à Saint-Maurice, dans le canton du Valais, Philippe Becquelin a débuté dans la bande dessinée puis dans le dessin de presse en 1984, année où il obtient un diplôme de peinture à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne. De cette époque date sa rencontre avec Dominique, qui deviendra sa compagne. Tous deux réalisent alors des toiles en commun derrière un pseudonyme unique, à double entrée – Mix & Remix – que Philippe/Mix gardera quelques années plus tard quand Dominique/Remix décidera de le laisser voler de ses propres ailes.

Le début de sa carrière artistique est alors indissociable de celle du dessinateur Frédéric Pajak, qui n’est pas encore le patron des Cahiers dessinés ni l’essayiste lauréat du prix Médicis (pour le Manifeste incertain, en 2014), mais le rédacteur en chef et l’éditeur de nombreux journaux éphémères, en Suisse et en France. Au début des années 1990, Philippe Becquelin gagne sa vie en tant que « guet » de la cathédrale Notre-Dame de Lausanne. Existant depuis le XVsiècle, ce métier insolite consiste à crier l’heure au sommet du beffroi, aux quatre coins cardinaux. Une ou deux fois par semaine, pendant quatre mois, Pajak va monter les 160 marches de l’escalier en colimaçon pour rejoindre son complice et réaliser un petit journal de huit pages, appelé L’Eternité hebdomadaire, entre bouteilles de vin et paquets de cigarettes.

Un dessinateur très réactif

D’autres périodiques tout aussi temporaires suivront – L’Imbécile de Paris, 9 Semaines avant l’élection, Cow-Boy, L’Age bête, Good Boy… – qui réuniront autour des deux dessinateurs, et du couple formé par les peintres Noyau et Anna Sommer, toute une nébuleuse d’artistes et d’écrivains. Parallèlement, « Mix » fait son entrée dans la presse traditionnelle en rejoignant le magazine suisse L’Hebdo, avec un strip appelé Histoires mécaniques, ainsi que le périodique franco-suisse de musique du monde, Vibrations. Son style unique et son humour décapant vont bientôt lui ouvrir d’innombrables portes dans la presse, en Suisse et en dehors, ainsi qu’à la télévision. Il lancera également son propre mensuel, 1er Degré, le journal des gens aisés, en 2006, qui s’arrêtera au bout de deux numéros.

Couplée à une vitesse de réaction digne des saillies proférées par ses personnages, sa capacité à traiter des sujets les plus abscons faisait le bonheur des directeurs artistiques des journaux : tous savaient que Mix & Remix trouverait « la » bonne idée devant une commande aux airs d’impasse.

Il savait aller à l’« essentiel », comme le soulignait Frédéric Pajak dans la préface de Dessins politiques (Les Cahiers dessinés), en 2015 : « Quelques traits, quelques mots, jamais les uns sans les autres. L’idée, chez lui, n’est pas emberlificotée. Elle n’est jamais démagogique. Elle ne flatte pas le conformisme. Elle relève de l’évidence, mais d’une évidence que nous écartons souvent par paresse, par renoncement. Là où nous sommes accablés, il se réjouit. Parce que chaque événement est pour lui l’occasion d’une subtile pirouette. Et nous pirouettons avec lui. »