Jean-Jacques Lumumba, banquier congolais exilé et dénonciateur du système Kabila
Jean-Jacques Lumumba, banquier congolais exilé et dénonciateur du système Kabila
Par Xavier Monnier
En s’opposant à des manipulations bancaires, ce descendant du premier ministre assassiné, Patrice Lumumba, s’était attiré les foudres du pouvoir à Kinshasa.
En ce mois de décembre, le train de banlieue fend le brouillard et stoppe dans une gare sans âme de la banlieue d’une grande ville du cœur de l’Europe. Température négative, ciel bas et lourd, une ambiance grise d’où émerge une silhouette élancée qui requiert de ne pas citer le lieu où nous le rencontrons. C’est la prudence d’un banquier contraint, en juin, de fuir son pays, la République démocratique du Congo, après avoir refusé de couvrir ce qu’il dénonce comme des malversations financières dans l’entourage du président Joseph Kabila.
Quelques semaines auparavant, il avait en effet découvert d’étranges opérations bancaires au sein de la filiale congolaise de la BGFI. Jean-Jacques Lumumba avait intégré cet établissement en 2012, avec enthousiasme. La réputation de la banque, son implantation internationale et son réseau semblaient alors des gages de sérieux. En 2016, à peine trentenaire, il avait été promu directeur des engagements avec un confortable salaire à la clé. Son parcours suit l’évolution de l’établissement. En quelques années, la BGFI s’est fait une place dans la jungle bancaire congolaise, pointant dans le top 6 des établissements locaux. Au Congo, son directeur n’est autre que Francis Selemani Mtwale, un intime de Joseph Kabila dont la rumeur assure qu’il est son frère adoptif. Gloria Mteyu, la sœur cadette du chef de l’Etat, créatrice de mode et femmes d’affaires, porte 40 % des parts de la BGFI RDC.
Une ascendance prestigieuse
Jean-Jacques Lumumba n’est pas, non plus, un Congolais comme les autres. La légère dépigmentation qui barre le côté droit de son visage, blanchit son bouc et ses cils, donne au trentenaire d’un bon mètre quatre-vingt-dix, un aspect mystique. Mais c’est son patronyme qui le distingue. Patrice Lumumba, icône africaine de la décolonisation, premier premier ministre du Zaïre indépendant, assassiné en 1961, était son grand-oncle maternel. « Sa famille m’a élevé, entre Limete et Matonge, sourit Jean-Jacques Lumumba. Et du côté de mon père, nous avons des liens avec Simon Kimbangu [fondateur et prophète de la religion Kimbanguiste, une église chrétienne congolaise née au début du XXe siècle], je suis si on peut dire son petit-neveu ».
Un double patronage qui a guidé une enfance kinoise marquée par les descentes de police, le harcèlement des militaires de Mobutu Sese Seko, et le pillage des maisons familiales par des miliciens de Laurent-Désiré Kabila, craignant l’aura qui entoure encore le nom de Lumumba. Malgré cela, l’exil n’avait jamais fait partie de l’horizon de l’ancien élève de l’institut Jésuite Boboto, au cœur du quartier de la Gombe.
Ce sont finalement ses fonctions professionnelles qui le contraindront de s’enfuir. La BGFI est en effet une banque très politique qui héberge notamment les comptes de la Commission électorale nationale et indépendante (CENI). C’est cette institution qui, faute de moyens pour recenser l’électorat, a demandé au président de reporter l’élection présidentielle aux calendes grecques et fournit à la majorité présidentielle l’argumentaire pour que Joseph Kabila se maintienne au pouvoir après l’expiration de son mandat, ce 19 décembre.
L’étrange prêt de la CENI
Bien que disposant de moyens financiers non négligeables - au moins 55 millions de dollars en mai 2016, selon les documents consultés par Le Monde Afrique - la CENI a obtenu, en mai toujours, un prêt à la BGFI de 25 millions de dollars, au taux de 8,5 % par an, agrémenté d’une commission d’arrangement de 0,5 %, d’une commission de notification de 2,5 % et de frais de dossier de 1 %. L’opération est d’autant plus étonnante que la CENI est mise à l’index par la banque centrale congolaise pour des impayées auprès de fournisseurs. Cela devrait lui interdire le recours à des prêts et à des décaissements. Pourtant, dès la mi-mai, 2 millions de dollars sont prélevés par la banque. Entre mai et septembre, 7,5 millions de dollars sont retirés par trois questeurs de la CENI pour payer leurs agents.
Directeur du recouvrement, Jean-Jacques Lumumba assure s’être opposé à ce prêt et aux décaissements qui ont suivi. « Cela a été le début de mes problèmes. Ces prêts et ces retraits étaient illégaux, en raison de la mise à l’index. C’est l’argent du peuple destiné aux élections qu’on me demandait de laisser passer ! J’ai alerté, en interne, mais le directeur général et son adjoint ont forcé l’opération et m’ont dit de l’assumer. »
Les pressions ont alors commencé. Francis Selemani et son adjoint lui demandent des explications sur cette opération et sur de précédentes remarques qu’il avait transmises au cabinet PricewaterhouseCoopers (PwC), auditeur de la banque. MM. Selemani et Diop n’ont pas répondu à nos sollicitations. « J’avais dénoncé l’étrange fonctionnement des comptes de certains clients, se rappelle Jean-Jacques Lumumba. Au moment où elles ne pouvaient plus honorer des prêts, le directeur général leur trouvait des fonds pour régler leurs engagements. Les prêts devenaient une façon de blanchir des fonds et de détourner de l’argent. J’ai compris qu’ils voulaient me faire porter le chapeau au cas où ces opérations deviendraient publiques, alors je me suis mis en congé maladie. »
Une convalescence loin du pays, en Europe, où sa femme et ses jeunes enfants l’ont rejoint. Mais la pression ne retombe pas. « Les bruits qui me parvenaient de la banque étaient mauvais », raconte-t-il. Pour se protéger, Jean-Jacques Lumumba s’est donc ouvert à la presse. Celle de l’ancien colonisateur belge d’abord, le quotidien Le Soir, puis auprès des médias anglo-saxons, déclenchant en novembre un premier tourbillon médiatique.
Atteinte au secret défense
Au-delà de la CENI, d’autres opérations suspectes apparaissent. Les comptes de la Gécamines, l’ancien conglomérat minier public, ont été prélevés en deux fois de 2,7 millions de dollars pour des commissions portant sur le même emprunt. Autre exemple, un virement de la Banque centrale du Congo, sur un compte de la société de produits surgelés Egal, provoque un tweet rageur du directeur de cabinet adjoint du président Kabila. « Divulguer un des moyens du financement de la défense de son pays est une trahison. Le nom du héros national a été sali ». Est-ce à dire que la BGFI financerait, via un compte fictif, des achats d’armes alors que le pays est encore sous embargo de l’ONU ? (2) Contacté, M. Kambila n’a pas répondu à nos sollicitations. « Quand j’ai vu les réactions j’ai réellement pris la mesure de ce que j’avais découvert, souffle Jean-Jacques Lumumba. Et j’ai compris que je ne pourrais pas rentrer. »
Depuis, d’autres scandales ont explosé dans la presse anglo-saxonne. L’agence de presse Bloomberg a recensé les 77 sociétés, dont la BGFI, dans lesquelles la famille du président a des intérêts. Le New York Times lui a emboîté le pas. L’ancien banquier les suit depuis son exil, où il a repris des études de finances. « C’est une déferlante assez terrible, soupire un diplomate congolais, qui dénote l’état du système bancaire et judiciaire du pays ». Aucune enquête n’a été ouverte après les révélations de Jean-Jacques Lumumba, ni aucune procédure à son encontre depuis sa démission de la BGFI.