Le vaccin contre Ebola, « une nouvelle encourageante » pour les acteurs de terrain
Le vaccin contre Ebola, « une nouvelle encourageante » pour les acteurs de terrain
Propos recueillis par Rémi Barroux
Bertrand Draguez, de MSF, évalue quelles pourraient être les conséquences sur le terrain de l’annonce de l’existence d’un vaccin contre la fièvre hémorragique Ebola.
L’entrée d’un hôpital de campagne mis en place pour traiter des personnes atteintes d’Ebola en mars 2014, en Guinée-Conakry. | Youssouf Bah/ASSOCIATED PRESS
Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a célébré, vendredi 23 décembre, l’existence d’un vaccin « hautement protecteur » contre le virus Ebola, Le Monde a demandé à Bertrand Draguez, directeur médical de Médecins sans frontière (MSF) lors de l’intervention contre la récente épidémie en Afrique de l’Ouest, aujourd’hui président de MSF Belgique, quelles pouvaient être les conséquences de cette annonce.
Que va changer l’existence de ce vaccin contre Ebola ?
Cette nouvelle est bien sûr très encourageante. Nous ne disposions pas d’outil préventif à l’heure où la dernière épidémie s’était déclarée, en décembre 2013. Nous nous trouvons donc mieux armés avec un vaccin permettant de limiter l’extension de l’épidémie mais surtout de protéger le personnel soignant, au cœur de la lutte contre le virus. Or les médecins, les infirmiers, tous les personnels soignants ont payé un lourd tribut, car le virus mortel attaque d’abord les personnes en contact direct avec les malades.
Va-t-il être totalement efficace ?
Il faut se rendre compte que ce vaccin n’est efficace que sur une certaine souche du virus, la souche Zaïre. On ne sait pas si cette efficacité serait la même sur d’autres souches et, depuis 1976, on a dénombré principalement trois souches dans les différentes épidémies d’Ebola.
Par ailleurs, on ne connaît pas non plus la durée de protection de ce vaccin. L’objet de l’essai mené sur plus de 11 000 personnes – 5 837 personnes ayant reçu le vaccin – était de tester l’efficacité et non la durée de protection. Il faudra encore d’autres études pour connaître cette durée pour que le vaccin soit pleinement satisfaisant. Il se peut aussi que ce vaccin soit aussi efficace contre d’autres fièvres hémorragiques comme celle de Marburg.
Ce vaccin n’est pas un remède…
En effet, ce vaccin ne doit pas être considéré comme le remède contre le virus. Plusieurs études ont été menées sur des traitements, mais aucune n’a donné de résultats satisfaisants. Le ZMapp, en particulier, avait suscité beaucoup d’espoirs, mais les études ont montré qu’il ne permettait une baisse de la mortalité que de 15 %. Il faut encore continuer la recherche thérapeutique, notamment sur les combinaisons de médicaments.
On sait l’importance néfaste qu’a joué, dans la première phase de la propagation du virus, la communication sur le fait qu’il n’existait pas de traitement. Ce vaccin peut-il changer la donne ?
Certainement. L’un des problèmes est de toucher et convaincre les contacts de la personne malade, et on sera beaucoup plus efficace. L’existence de ce vaccin va nous permettre de demander aux contacts, aux familles des malades, de se rendre dans les centres pour se faire vacciner. De plus, la mobilisation pourra être plus importante de la part des Etats, des ONG qui pourront s’associer aux campagnes de vaccination, ainsi qu’à la prise en charge des malades.
Alors que la lutte contre Ebola a été longue à se mettre en place après le début de l’épidémie, fin 2013, que l’OMS elle-même a reconnu ce retard, pensez-vous que l’existence de ce vaccin accélérera la mobilisation ?
On peut l’espérer. Il existe une nouvelle conscience, après l’épidémie dramatique de 2013-2015. Beaucoup de moyens ont été déployés en Afrique de l’Ouest, avec retard certes. Mais cette prise de conscience des différents acteurs, la mobilisation financière aussi peut faire espérer une lutte plus efficace. Mais il faudra néanmoins attendre qu’une nouvelle épidémie apparaisse, en Afrique ou ailleurs, pour vérifier sur le terrain que tel est le cas. On a encore constaté des retards importants dans l’intervention récemment, comme pour l’épidémie de fièvre jaune, en 2016, en Angola et en République démocratique du Congo.
Quelle est la situation aujourd’hui dans les trois pays d’Afrique de l’Ouest, Guinée, Liberia et Sierra Leone, qui ont été les plus touchés ?
Il n’y a plus de cas connu, et l’urgence est maintenant d’essayer de reconstruire les systèmes de santé de ces pays totalement déstabilisés. Il n’existe plus de centre de traitement Ebola, ni de structures hospitalières MSF chargés de suivre les anciens malades. Il faut savoir que si l’épidémie a tué plus de 11 300 personnes, plus de 17 000 personnes ont été infectées et ont survécu. Nombre d’entre elles ont été stigmatisées, ont connu de grandes difficultés, et il a fallu installer des prises en charge psychologiques et psychiatriques.
Certains des malades qui ont survécu ont aussi connu des atteintes musculaires, oculaires, etc. Il faut donc maintenir une surveillance sur les conséquences du virus. D’autres organisations conduisent des études sur les conséquences sur le long terme d’Ebola.
Pourquoi a-t-il fallu tant de temps pour obtenir un vaccin ?
Nous aurions dû faire ces essais dès l’apparition de la maladie dans les années 1970. Il y avait alors un désintérêt de la communauté scientifique. C’est très dommageable. Il a fallu attendre des niveaux de propagation beaucoup plus importants, que le virus puisse atteindre l’Europe et les Etats-Unis pour que l’ensemble des acteurs se mobilisent, c’est-à-dire trop tard.
La question financière a-t-elle joué dans ce retard ?
Oui, l’élément financier joue un rôle pernicieux. Pour trouver un vaccin, un traitement, il faut des années de recherches et d’essais. La mise au point d’un seul médicament peut coûter jusqu’à 150 millions de dollars (140 millions d’euros) et les laboratoires veulent être sûr d’un retour sur investissement, de la rentabilité d’un médicament. Or, ces épidémies, avant d’atteindre la proportion du dernier épisode en Afrique de l’Ouest, se concentraient sur des petits villages, faisant quelques dizaines ou centaines de victimes, peu exposées médiatiquement. Il y avait aussi peu de chances que la maladie arrive en Europe et les Etats africains n’avaient pas, à eux seuls, les ressources pour financer la recherche et des essais.
Connaît-on le coût de ces vaccins ?
L’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination (GAVI, Global Alliance for vaccines and immunization) [GAVI est une coalition mondiale composée de plusieurs organismes dont des gouvernements nationaux, des organisations internationales comme l’Unicef, l’OMS et la Banque mondiale, des fondations philanthropiques comme la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation Rockefeller et des entreprises privées comme la Fédération internationale de l’industrie du Médicament et des institutions de recherche et de développement] a déployé cinq millions de dollars (4,8 millions d’euros) pour la production de 300 000 doses. Dans un monde idéal, un outil préventif comme un vaccin ne doit pas être payé par les patients. Les coûts de production devront donc être pris en charge par des fonds, par les Etats ou par GAVI.