Avec le numéro de septembre de « L’Officiel », 2016 a failli être l’année de la mode africaine
Avec le numéro de septembre de « L’Officiel », 2016 a failli être l’année de la mode africaine
Par Prisca Munkeni Monnier (contributrice Le Monde Afrique)
La bible française de la mode a voulu célébrer la mode du continent dans son numéro de la rentrée. Mais n’a fait qu’effleurer sa furie créatrice.
Couverture de L’Officiel de septembre 2016. « Un numéro brodé de rêve et d’envie, qui tisse le récit d’un voyage africain, dit l’éditorial. Autant l’avouer, un voyage vers demain ». | DR
C’était en septembre 2016. Les fashions week s’enchaînaient, les défilés pullulaient, le monde de la mode bouillonnait. Et les magazines tremblaient. Car c’est dans les premiers frimas de l’automne que se dessine la tendance de l’année, que l’on fait la différence, pour la saison à venir, entre les simples wagons et une possible locomotive. Et là, dans le flot des couvertures qui prennent d’assaut les rayons des buralistes, le magazine « l’Officiel de la couture et de la Mode » s’était distingué.
« Gang of Africa - Black Beauty Matters », titrait la bible française de la mode dans son numéro de septembre. Le continent noir à la une d’une publication référence, dans une édition décisive. Un grand coup ? « L’Afrique est une vraie matrice, explique son directeur éditorial, Emmanuel Rubin. C’est un continent qui infuse et qui inspire les créateurs de tous bords. »
Drapé dans le wax
« L’Officiel » avait déjà cédé à l’appel du continent pour ses 90 ans, en mars 2011. Cette année-là, l’Afrique était déjà chic. Beyoncé en avait fait la couverture en reine africaine. Une fusion remarquable entre modernité et inspiration traditionnelle, agrémentée d’une polémique. La peau de la reine du R’n’B avait été maquillée en noir pendant le shooting. Un écho au « black face » qui consistait à peindre les visages en noir, une pratique de la scène artistique du XIXe siècle aujourd’hui soupçonnée de discrimination raciale. « L’Officiel » s’était alors défendu en invoquant une façon de « rendre hommage aux rituels de maquillages africains ».
Cinq ans après, l’Afrique est toujours chic. Dans son nouveau numéro, le magazine a pris soin d’éviter tout faux pas et se drape dans le wax. Il y en a partout, dans les pages, les titres, les sous-titres et les surtitres, sur les photos. Et tant pis pour les amoureux du minimalisme si un arrière-goût de cliché leur chatouille la gorge, dès la couverture.
Une des pages du numéro de septembre de l’Officiel, consacré à l’Afrique. | DR
Mis en scène par le talentueux styliste sénégalais Jenke Ahmed Tailly, l’homme des tenues de Beyoncé, un gang y prend la pose. Huit mannequins noires, menées par Iman, veuve Bowie, une Américaine qui revendique ses origines somaliennes. Elle incarne néanmoins une vision très américaine et occidentale de l’Afrique. Trop ?
L’Afrique semble absente des pages
Les vêtements légèrement kitsch sur fonds géométriques et colorés amusent, tout comme les petites touches, ici et là, du créateur ivoirien Gilles Touré. Mais le cadre attriste un peu. Malgré les pièces Sud-Africaines de Brother Vellies, oh combien magnifiques, et la fraîcheur du label parisien Maison Château Rouge, on cherche en vain la chaleur des créations africaines, l’énergie étouffante que dégagent les rues de Lagos ou Kinshasa, la poésie des vents du désert de Namibie… Bref, l’Afrique semble absente de ces pages qui lui sont consacrées. Comme si « L’Officiel » avait préféré faire parler de grandes figures à sa place.
De petits trésors se nichent bien dans ce numéro. Les noms kilométriques rappellent couleurs et saveurs qui flattent les sens, à l’instar du créateur nigérian Adebayo Oke-Lawal (Orange Culture). Les pensées du photographe ivoirien Louis Philippe de Gadoue ou les projets de la très charismatique et avant-gardiste Reni Folawiyo illustrent ce qu’aurait pu être un numéro sur la mode africaine. Hélas, certains choix éditoriaux déroutent. Valérie Schlumberger, la mère de Léa Seydoux, très investie au Sénégal, a sa place dans ce numéro, mais fallait-il lui en donner davantage qu’à l’architecte ghanéen révolutionnaire David Adjaye ?
De fait, la « saveur particulière » promise par « l’Officiel » a un goût d’inachevé. Ce n’est pas tant la mode africaine qui est mise en avant que la vision qu’en ont ses promoteurs occidentaux. Une vision parcellaire. « Je vais être très honnête, il y a eu un débat dans l’équipe et c’est vrai qu’on penchait plus vers le mot ‘afro’, avoue Emmanuel Rubin, directeur éditorial. Parce que ‘afro’, c’est un style ». Un style qui va, vient, s’enterre et ressuscite. Le plaisir de voir la beauté noire mise en avant est un peu gâché par l’impression de déjà-vu. Pas de shooting local, nulle découverte de modèle. Entre mannequins américaines, figures de la création qui puisent dans le réservoir africain et stylistes en quête d’exotisme, ce n’est qu’une portion congrue de L’Officiel qui est laissée aux véritables « Gangs » de la mode qui foisonnent sur le continent.
Nous voilà plutôt plongés dans un monde bien ordonné, où les stars pourront continuer de parader sur les tapis rouges avec des attirails « ethniques », exhibant des vêtements en wax, et des tresses « à l’africaine ». Elles continueront de puiser dans les images d’Epinal du continent noir. L’Afrique, ressource infinie dont le destin ne varie pas. Nourrir le monde, sans guère de retour.