La trêve des confiseurs touche à sa fin, mais il reste quelques jours pour découvrir quatre pépites, voire plonger dans le cycle « Hollywood décadent » de la Cinémathèque.

UNE ENFANCE EN MAL DE MÈRE : « Fais de beaux rêves »

FAIS DE BEAUX REVES - Bande Annonce OFFICIELLE
Durée : 02:05

Déchirante élégie remontée des tréfonds juvéniles, Fais de beaux rêves poursuit le travail en profondeur opéré par l’immense cinéaste qu’est Marco Bellocchio sur le territoire de l’inconscient, individuel et collectif. Ici, l’individu va et vient à Turin, entre 1967 et 1999. L’homme blessé qui tente de tenir en selle entre ces deux dates se nomme Massimo, il est ombrageux, mélancolique, crispé sur une souffrance dont il ne connaît que partiellement la cause. En 1969, à 9 ans, Massimo vit heureux avec une mère dans le regard de laquelle loge pourtant une ombre qui se mêle à leur joie. Puis, une nuit, elle meurt. Brutalement, sans raison plus précise que celle que lui donne ce bon prêtre qui prétend, à l’ombre d’une crèche de Noël, devant l’enfant enragé, que sa mère est bienheureuse au paradis.

Ce récit, adapté d’un roman autobiographique de Massimo Gramellini devenu un best-seller en Italie, n’est pas seulement bouleversant par ce qu’il raconte. Il l’est aussi, et peut-être surtout, par la manière dont il le raconte, et qui s’appelle au cinéma la mise en scène. Bellocchio est passé maître dans cet art, et plus précisément dans la capacité du cinéma à faire tenir ensemble l’imaginaire et la réalité, la fiction et le document, la cristallisation des sentiments et le passage du temps. Jacques Mandelbaum

Film italien de Marco Bellocchio. Avec Valerio Mastandrea, Bérénice Béjo, Guido Caprino, Nicolo Cabras, Dario Dal Pero (2 h 10).

LES RÊVES IMPOSSIBLES DE LA JEUNESSE CAMBODGIENNE : « Diamond Island »

DIAMOND ISLAND Bande Annonce (officielle)
Durée : 01:46

Après un documentaire remarquable et remarqué, Le Sommeil d’or, qui évoquait le cinéma populaire khmer d’avant le génocide, Davy Chou, 33 ans, Fontenaisien (aux Roses) d’origine cambodgienne, passe aujourd’hui à la fiction, autre étape significative dans son parcours d’auteur, qui confirme le désir d’enracinement de ce jeune cinéaste dans le pays de ses origines.

Il le cherche dans les chantiers de Phnom Penh, sur cette « île du diamant » qui donne son titre au film et sur laquelle s’édifie, selon la volonté des politiques et des promoteurs immobiliers, une nouvelle idée du Cambodge, élitaire, luxueuse. Le film accompagne la montée du personnage principal – Bora, 18 ans, garçon pauvre venu de la campagne – dans la capitale, où il est embauché sur les chantiers de Diamond Island. Il s’y lie d’amitié avec un groupe de jeunes de son âge, passant les nuits entières à baguenauder, draguer les filles, rêver d’un avenir qui prend les couleurs phosphorescentes, illuminées, d’un éternel quartier de plaisir.

Chaque plan du film prend plastiquement en charge cette réalité socio-économique en faisant luire mille lumières dans la nuit, en poussant les couleurs pop et la langueur des sensations au maximum de leur intensité, pour mieux revenir, chaque matin, à la froide réalité du chantier qui met durement à l’épreuve tant l’amour que l’amitié. J. Ma.

Film français et cambodgien de Davy Chou. Avec Sobon Nuon, Cheanick Nov, Madeza Chhem, Mean Korn, Samnan Nut (1 h 43).

L’AMOUR AU TEMPS DES ATTENTATS : « Hedi »

HEDI - Bande-annonce officielle - Au cinéma le 28 décembre
Durée : 01:33

Garçon boudeur, coincé entre un travail désespérément inintéressant (il vend des véhicules d’entreprise dans un pays, la Tunisie, où l’économie est à l’arrêt) et de prochaines noces que sa mère a arrangées, Hedi peine un peu à susciter l’intérêt au début de ce film, le premier de Mohamed Ben Attia. On patiente grâce à la minutie avec laquelle le cinéaste rend compte de la réalité tunisienne, celle de l’après-révolution, de l’après-attentats. Et puis, il suffit d’une scène exquise pour que le film bascule dans une divagation amoureuse passionnée. Hedi rencontre Rym, une femme libre qui vit comme si les conventions qui étouffent le jeune n’existaient pas.

Les deux acteurs, Majd Mastoura et Rym Messaoud, sont comme les témoins incarnés de leur génération. Ils débordent de vie dans un pays que l’histoire vide de sa substance. Autour d’eux, les seconds rôles sont traités avec une attention rare : la mère, monstrueuse de sollicitude ; Ahmed, le frère aîné parti en France, modèle lointain qui reste hors d’atteinte ; la fiancée prisonnière d’un idéal conjugal qui n’existe que dans les séries télévisées égyptiennes. Ils peuplent Hedi d’une petite foule extraordinairement vivante et proche à un moment où des pans entiers de notre planète semblent s’éloigner les uns des autres. Thomas Sotinel

Film tunisien de Mohamed Ben Attia, avec Majd Mastoura, Rym Ben Messaoud, Sabah Bouzouita (1 h 30).

DEUX CORPS QUI S’UNISSENT PAR L’ESPRIT : « Your Name »

YOUR NAME - Bande Annonce VOST - Au cinéma le 28 décembre
Durée : 01:37

A l’heure de sa sortie française, le film d’animation Your Name est d’ores et déjà le plus gros succès de l’année au Japon, avec plus de 15 millions de spectateurs. Sous ses allures de machine de guerre économique, le film de Makoto Shinkai abrite en fait une bouleversante romance intimiste, sculptée dans les songes et les aspirations de ses protagonistes, deux lycéens isolés l’un de l’autre.

Mitsuha, 17 ans, s’ennuie dans son village lacustre où la retiennent ses tâches de prêtresse traditionnelle, et rêve de partir à Tokyo. Elle s’imagine souvent dans la peau d’un garçon de son âge, évoluant dans le décor plein de promesses de la grande ville. Sauf que ce garçon, Taki, existe vraiment de son côté, et se retrouve lui aussi projeté, sans autre explication, dans l’existence de Mitsuha. Ainsi, à intervalles imprévisibles, les deux adolescents voyagent-ils dans le corps de l’autre et apprennent à se connaître par consciences interposées. L’idée géniale est ici d’avoir identifié l’amour naissant avec l’expérience du corps de l’autre.

Shinkai se révèle un formidable peintre de l’âme adolescente : ciels entre chien et loup, crépuscules brumeux, soleils rasants, sa lumière, restituée par un splendide travail de décoration (cet écrin « inanimé » de l’animation), n’est autre que le vecteur de l’âme et semble transporter les sentiments des personnages. Mathieu Macheret

Film d’animation japonais de Makoto Shinkai (1 h 46).

LES ÉCHAPPÉS DU CODE : cycle « Hollywood décadent » à la Cinémathèque

Michael Caine et Jane Fonda dans "Que vienne la nuit", d'Otto Preminger (1966) | Cinémathèque française

Entre le moment où le code Hayes, qui interdisait entre autres de montrer un homme et une femme dans le même lit, a volé en éclats et l’avènement du « Nouvel Hollywood », soit entre la fin des années 1950 et la sortie de Bonnie and Clyde (1967), les grands studios ont fait un curieux usage de leur liberté nouvelle. Fascination égrillarde pour les choses de la chair, généralement considérées comme des perversions, regard horrifié sur le show-business, critique indignée de l’American way of life, ont nourri des films produits pour faire concurrence à la télévision, souvent réalisés par des géants du cinéma dont la carrière touchait à sa fin : Ford, Cukor, Minnelli…

Les programmateurs de la Cinémathèque proposent, jusqu’au 25 janvier, de se plonger dans les vapeurs méphitiques de cette période de décadence. Deux titres, un peu au hasard dans cette riche programmation : Que vienne la nuit, d’Otto Preminger, mélodrame sudiste antiraciste avec Michael Caine qui troque son accent cockney pour celui de l’Alabama (le 30 décembre à 14 heures), et Fedora, le chant du cygne de Billy Wilder (le 28 décembre à 14 heures). T. S.

Hollywood décadent, Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, Paris 12e.