Poutine, homme de l’année
Poutine, homme de l’année
Editorial. Loin de se limiter au Moyen-Orient, où il est en train de redéfinir l’équilibre des pouvoirs, le président russe aura été sur tous les fronts en 2016.
Vladimir Poutine, le 21 septembre 2016. | IVAN SEKRETAREV / AFP
Editorial du « Monde ». Si Donald Trump a monopolisé la « une » de l’actualité en 2016, le véritable homme de l’année qui s’achève est Vladimir Poutine. La course de fond que le président russe a engagée depuis maintenant seize ans pour remettre son pays au centre du jeu est en train de porter ses fruits de manière spectaculaire.
Au Moyen-Orient, le chef du Kremlin a rebattu les cartes. Mettant à profit un inexorable retrait de la puissance américaine sous l’égide de Barack Obama, puis la période, toujours délicate pour Washington, de la transition entre une administration sortante qui n’a plus l’initiative et une future équipe qui n’a pas encore les commandes de la Maison Blanche, il veut redéfinir l’équilibre des pouvoirs dans la région. L’annonce, jeudi 29 décembre, d’un cessez-le-feu en Syrie, une semaine après la reprise officielle d’Alep aux rebelles par l’armée du régime syrien, grâce au pilonnage des bombardements russes, s’inscrit exactement dans cette logique : alors que les précédentes trêves avaient été négociées avec les Etats-Unis, M. Poutine a choisi, cette fois, la Turquie pour partenaire et a écarté Washington.
Rapprochement avec la Chine et le Japon
L’organisation de pourparlers de paix sur la Syrie en janvier est une autre illustration de ce dessein : ils se tiendront à Astana, au Kazakhstan, dans ce que Moscou considère comme sa zone d’influence, et réuniront la Russie, la Turquie et l’Iran. Et, bien sûr, le président syrien Bachar Al-Assad, sauvé par la Russie et l’Iran, alors que les Occidentaux posaient son éviction comme condition sine qua non de l’avenir de la Syrie. Les Etats-Unis, les Européens et l’ONU semblent condamnés, dans ce schéma, à un rôle de spectateurs passifs.
Loin de se limiter au Moyen-Orient, M. Poutine aura été cette année sur tous les fronts. En Asie, il s’est rapproché de la Chine et du Japon. En Europe, il contourne l’hostilité des gouvernements de l’UE – suscitée par l’intervention de la Russie en Ukraine en 2014 – en cultivant méthodiquement les liens avec les partis politiques et les personnalités qui lui sont favorables ; l’influence russe dans les milieux politiques et intellectuels européens s’est considérablement renforcée cette année.
Réécriture des règles de l’espionnage
Enfin – et ce n’est pas le moindre de ses exploits –, le dirigeant russe a entrepris de réécrire les règles de l’espionnage, une activité dont il a été lui-même, à l’époque de l’Union soviétique, un opérateur plus classique. Les responsables américains ont maintenant acquis la certitude de la responsabilité de Moscou dans le piratage massif de comptes e-mail du Parti démocrate et de collaborateurs de la candidate Hillary Clinton, ainsi que dans la diffusion de ces données pendant la campagne électorale. Cette intervention, sans précédent, d’une puissance étrangère dans le processus électoral américain ne doit pas être prise à la légère : c’est bien le fonctionnement de la démocratie qui est visé. Plusieurs services de renseignement européens ont récemment lancé des mises en garde sur une menace similaire pesant sur les campagnes électorales prévues cette année dans l’UE, en particulier en France et en Allemagne.
La décision du président Obama d’expulser trente-cinq diplomates russes des Etats-Unis est à la mesure de cette offensive. Donald Trump, qui sera investi à la présidence le 20 janvier, reste ostensiblement bienveillant à l’égard de M. Poutine. La réalité du pouvoir et du défi russes pourrait bien lui ouvrir les yeux, plus rapidement qu’il ne le pense.