Une prothèse de main robotique open source à fabriquer soi-même proposée par la start-up Open Bionics. | myhumankit

L’endroit ressemble à un fab lab (contraction de l’anglais fabrication laboratory, « labo­ratoire de fabrication »), l’un de ces espaces de travail colla­boratif, équipés d’outils numé­riques, qui ont essaimé dans les villes et les collectivités depuis dix ans. Sauf qu’ici les impri­mantes 3D et les machines pilotées par ordinateur côtoient un fauteuil roulant pour enfant fabriqué à partir de matériel de récu­pération. Sur une table, un « gant sonar », sorte de boîtier portatif censé repérer la présence d’obstacles à distance, est en cours de ­finalisation.

Dans la banlieue de Rennes, le Human Lab a ouvert ses portes en novembre à l’initiative d’un jeune Rennais qui en est aujourd’hui l’un des quatre salariés. Amputé de la main droite en 2002 à la suite d’un accident du travail, Nicolas Huchet s’est fait connaître en bricolant avec une équipe de bénévoles un prototype de main robotisée équipée de capteurs qui coordonnent le mouvement des cinq doigts en fonction de l’activité réalisée.

Culture du « do it yourself »

Avec le Human Lab, il veut développer la fabrication collaborative de prothèses et d’aides au handicap à prix modiques. Soutenue par la Fondation de France, la fon­dation Google. org, la GMF, l’Agefiph et la région Bretagne, l’initiative respecte la charte du MIT et s’inscrit dans le mouvement mondial des makers (« faiseurs ») et de la culture du DIY (do it yourself) né aux Etats-Unis au début des ­années 2000.

« On enrichit les innovations des autres, la recherche progresse plus vite, on s’aide avec les doigts du ­voisin »

Valides et handicapés collaborent sur cinq projets qui vont de la compensation auditive à la création artistique avec « Print my leg », un programme conçu pour personnaliser sa prothèse. Les prototypes sont fabriqués à partir de plans disponibles sur Internet sous licences Creative Commons : chacun peut les utiliser à condition de partager à son tour les améliorations qu’il a apportées. « On enrichit les innovations des autres, la recherche progresse plus vite, on s’aide avec les doigts du ­voisin », résume Hugues Aubin, ancien responsable du numérique de la ville de Rennes, qui a rejoint le Human Lab et milite en faveur de biens communs numériques.

Avec le développement de l’impression 3D et du logiciel libre, un réseau de handi labs commence à se développer en France, notamment en Bretagne, région pilote de la culture collaborative. Le centre mutualiste de Kerpape (Morbihan), qui accueille 400 personnes handicapées près de Lorient, a ouvert le sien en février 2016. « Avant, on travaillait au service de la personne handicapée. L’intérêt du fab lab, c’est qu’on aide les ­patients et les familles qui le souhaitent à réaliser eux-mêmes ces matériels. Les choses avancent plus vite et cela apporte de l’estime de soi », explique Jean-Paul Departe, l’un des deux ingénieurs, pour qui l’innovation est d’abord sociale. En participant à la fabrication de sa prothèse, la personne handicapée devient actrice du soin même si, selon l’ingénieur, le rôle des professionnels reste indispensable. « L’ergothérapeute connaît la pathologie et son évolution. Il peut, par exemple, conseiller d’attendre un peu dans certaines situations avant de concevoir une aide, pour renforcer les muscles. »

Au quotidien, Sylvie Petit, ­ancienne restauratrice à Royan amputée de la main droite après avoir été renversée par un camion, utilise une prothèse remboursée par la Sécurité sociale, une pince « efficace mais limitée par rapport aux prothèses high tech qui, elles, ne sont pas prises en charge », ­explique-t-elle. Avec une équipe de bénévoles du CréaLAB, le fab lab d’Angoulême, elle a conçu à partir de plans japonais le prototype d’une main équipée d’un moteur et de capteurs. « Pendant longtemps, je ne suis sortie qu’en manches longues, j’avais honte. Même si ma nouvelle main n’est pour le moment qu’un prototype, ce projet a changé mon regard sur mon handicap », constate-t-elle.

Du sur-mesure à bas coût

A Kerpape, l’accès aux machines du handi lab permet aussi de ­diminuer le coût de certains projets réalisés sur mesure. « Dès que l’on veut personnaliser une assistance, on est confronté à des petits marchés aux prix élevés », explique Jean-Paul Departe. De leur côté, les industriels observent ces initia­tives avec attention. « On voit bien l’intérêt des fab labs en termes ­d’innovation, estime ­Raphaël Terrier, ingénieur biomédical et responsable de l’unité Aide élec­tro­nique chez Proteor, leader français. Mais ensuite les dispositifs ­nécessitent d’être normalisés dans un processus industriel, et les ­patients attendent aussi un service après-vente et des mises à jour ­régulières qui supposent une ­exploitation commerciale. »

Au fab lab de l’université de Brest, Adamou Amadou Souley, responsable du handi lab, en est persuadé : « L’open source et les ­espaces collaboratifs sont un espoir pour un grand nombre de personnes handicapées qui dans le monde n’ont pas accès à une prothèse. » Originaire du ­Ni­ger, le jeune Brestois, atteint d’un han­dicap moteur à la suite d’une ­poliomyélite, coordonne un projet d’orthèse motorisée pour membres inférieurs. « Tout le monde ne peut pas venir dans un pays riche pour s’équiper. Avec les ­licences ­libres, il n’y a plus de frontières, on réduit le fossé entre pays pauvres et riches », affirme celui qui prévoit d’ouvrir, dans quelques années, un handi lab au Niger.