Au Zimbabwe, le juteux commerce des « marchands d’eau »
Au Zimbabwe, le juteux commerce des « marchands d’eau »
Le Monde.fr avec AFP
Le litre d’eau se vend un dollar dans les rues de Bulawayo, la deuxième ville du pays alors que le gouvernement a instauré un rationnement pour faire face à la sécheresse.
Depuis quelques semaines, elle se vend en seau au coin des rues, aussi précieuse qu’une liasse de dollars américains. Dans Bulawayo écrasée par la sécheresse, l’eau potable est une denrée rare, qui fait l’objet d’un commerce sans scrupule.
Officiellement au chômage comme la quasi-totalité des Zimbabwéens, Bernard Phiri s’est improvisé « vendeur d’eau » dans les rues de la deuxième ville du pays pour arrondir ses fins de mois. Sans le moindre état d’âme.
« Je n’ai pas de voiture mais je loue une camionnette à un prix raisonnable pour livrer de l’eau », raconte-t-il. « Mon bénéfice est marginal, mais au moins ça me rapporte un petit quelque chose à la fin de chaque journée ».
Pour un seau de 20 litres d’eau potable, il demande un dollar. La moitié seulement si son client lui précise qu’il n’en a besoin que pour faire sa toilette ou laver son linge.
Son activité est florissante, Bernard Phiri confie vendre jusqu’à 1 000 litres les meilleurs jours…
Troisième année de sécheresse
Depuis des mois maintenant, Bulawayo (sud) manque cruellement d’eau. Comme le reste de l’Afrique australe, le Zimbabwe étouffe sous un soleil de plomb qui brûle les récoltes, tarit les nappes phréatiques et assèche les gorges.
Cette troisième année consécutive de sécheresse, aggravée cette saison par l’anomalie climatique El Nino, a contraint les autorités de Bulawayo et de la capitale Harare à rationner l’eau.
Officiellement, les coupures d’eau ne dépassent pas trois jours consécutifs. Mais il n’est pas rare que, dans certains quartiers, les robinets restent coupés plusieurs semaines.
Les autorités municipales ont bien mis en place un système de distribution d’urgence par citernes ou autour de puits mais, très vite, il a été dépassé par la demande. Alors, comme toujours au Zimbabwe, le système informel a pris le relais.
Dans les rues ont fleuri toutes sortes de panneaux publicitaires griffonnés à la hâte de promesses alléchantes : « nous creusons des puits » ou « citernes d’eau de 10 000 litres, 5 000 litres, 2 500 litres ou 500 litres ».
Faute de mieux, de nombreux habitants n’ont eu d’autre choix que de se ravitailler auprès de revendeurs clandestins.
Négoce de la pénurie
Mandla Dungeni est devenu un expert de ce négoce de la pénurie. « J’identifie et je contacte les personnes qui ont besoin d’eau et après, je trouve des solutions pour les livrer, soit pendant la nuit, soit en plein jour de façon très discrète », explique-t-il.
« Nous les Zimbabwéens avons connu beaucoup de souffrances. Ca nous a rendus très créatifs dès qu’il s’agit de trouver des solutions », ajoute, fier de lui, ce chômeur de Bulawayo.
Dirigé d’une main de fer depuis 1980 par Robert Mugabe, le Zimbabwe traverse une grave crise depuis une quinzaine d’années. Asphyxiée par le manque de liquidités, son économie tourne au ralenti et 90 % de sa population active n’a pas d’emploi formel.
La municipalité de Bulawayo a bien tenté d’interdire le système de distribution parallèle d’eau. Mais sans succès.
« La qualité de l’eau n’est pas garantie », s’inquiète la conseillère chargée de l’ingénierie et de l’environnement, Silas Chigora.
La crainte d’une catastrophe sanitaire est partagée par une partie de la population.
Beaucoup de Zimbabwéens ont encore en mémoire l’épidémie de choléra qui a fait au moins 4 000 victimes en 2008, largement favorisée par l’état déplorable du système de distribution d’eau potable.
« Soixante-douze heures sans eau courante, ce n’est pas une plaisanterie », juge Mandla Gumede, une résidente du quartier périphérique de Magwegwe. « Seule la grâce de Dieu nous a épargnés des épidémies. »
Risques sanitaires
En attendant le retour de l’eau au robinet, de nombreux habitants de cette banlieue de Bulawayo ont pris leur précaution en stockant des dizaines de bouteilles.
Soneni Ndiweni, 54 ans, a même transformé une des pièces de sa maison en entrepôt. Jusqu’à présent, elle a refusé de s’approvisionner auprès des vendeurs clandestins.
« Ce qui m’inquiète, c’est la santé. Il n’est jamais sûr d’utiliser de l’eau dont on ne connaît pas la provenance, donc on en garde suffisamment pour boire », dit-elle, « et si on est un jour obligé d’en acheter, on ne l’utilisera que pour le linge et la toilette ».
Malgré ces réticences, Bernard Phiri reste persuadé que son commerce a de beaux jours devant lui. De l’avis des agences de l’ONU, le pire de la sécheresse reste à venir.
« On ne fait que satisfaire une demande », note le vendeur d’eau, « les gens apprécient qu’on leur rende ce service. »