Les chantiers de Saint-Nazaire repris par l’italien Fincantieri
Les chantiers de Saint-Nazaire repris par l’italien Fincantieri
Par Denis Cosnard
Numéro un du secteur, le groupe contrôlé par Rome veut créer un « Airbus de la construction navale » en reprenant STX France.
Une nouvelle ère s’ouvre pour les chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Après des années d’incertitude sur son avenir, le dernier grand constructeur français de navires devrait avoir sous peu un nouveau propriétaire : Fincantieri, le leader européen du secteur. Mardi 3 janvier, le tribunal de commerce du district central de Séoul a désigné le groupe italien comme candidat privilégié pour reprendre les chantiers français, qui appartenaient jusqu’à présent au conglomérat sud-coréen STX.
Ce changement marque un tournant pour Saint-Nazaire, où travaillent plus de 7 000 salariés et sous-traitants. En 155 ans, plus de 120 paquebots sont sortis de ce site historique, dont le Normandie, le France et, en 2016, le Harmony-of-the-Seas, le plus grand bateau de croisière jamais conçu.
Lâchés par Alstom en 2006, les chantiers étaient, depuis, passés aux mains de propriétaires norvégiens puis coréens qui n’ont pas tenu leurs promesses. Saint-Nazaire devrait à présent revenir dans le giron d’un industriel de l’Union européenne. Les dirigeants italiens entendent constituer ainsi un champion européen, un « Airbus des paquebots » puissant sur le plan économique mais doté aussi de fortes connexions politiques : tandis que l’Etat italien est l’actionnaire de contrôle de Fincantieri, l’Etat français gardera ses 33 % dans la structure française.
« Meilleures marges »
« C’est le bon moment pour rééquilibrer le marché », plaide-t-on à Trieste, siège de Fincantieri. Aujourd’hui, les compagnies de croisière dictent leur loi, et les constructeurs gagnent très peu d’argent, constatent ses dirigeants. « Demain, un ensemble Fincantieri-STX pourra peser davantage et obtenir de meilleurs prix, donc de meilleures marges. »
Le tribunal de Séoul avait peu de choix. Fincantieri était le seul à avoir déposé une offre en bonne et due forme à la date prévue, lundi 26 décembre. Les juges coréens auraient pu considérer le prix proposé comme trop bas, et lancer un nouvel appel d’offres dans l’espoir de récupérer plus d’argent pour les créanciers de STX Offshore and Shipbuilding, placé en redressement judiciaire en juin 2016. Ils ont préféré tenir que courir. Il n’était pas dit, en effet, qu’un nouvel appel aurait été beaucoup plus fructueux.
En novembre, la justice coréenne avait pourtant identifié au moins quatre groupes intéressés. Mais à l’exception de Fincantieri, aucun n’a donné suite. L’homme d’affaires franco-libanais Iskandar Safa a vite lâché prise. Un mystérieux candidat, prêt sur le papier à reprendre à la fois Saint-Nazaire et les deux chantiers de STX en Corée, s’est également « évaporé ». Genting Hongkong, un groupe chinois membre de la galaxie malaisienne Genting, a, lui aussi, renoncé.
Spécialiste des bateaux de croisière, Genting était pourtant très excité par Saint-Nazaire, après avoir acheté quatre chantiers navals en Allemagne en 2016. Mais les pouvoirs publics français ont fait en sorte de le dissuader, indiquent trois sources concordantes.
Affrontement
A l’heure actuelle, seule l’Europe sait construire des paquebots. Pour l’Elysée et Bercy, il n’était pas question d’aider la Chine à entrer dans ce métier en plein essor et à forte valeur ajoutée. « Deux ou trois réunions ont permis d’expliquer aux responsables de Genting combien leur intervention n’était pas souhaitée, et quels moyens l’Etat mettrait en œuvre s’ils allaient plus loin », confie un proche du dossier. L’Etat, actionnaire minoritaire, dispose en effet d’un droit de préemption sur la majorité du capital. Surtout, il aurait pu bloquer un candidat jugé dangereux en recourant au décret Montebourg sur les investissements étrangers.
Le terrain ainsi déblayé, l’Etat, les syndicats et les élus locaux espéraient que leur candidat favori, le néerlandais Damen, l’emporterait. Un groupe familial solide, prêt à développer Saint-Nazaire, et soutenu par les deux grands clients des ex-Chantiers de l’Atlantique, les armateurs MSC et Royal Caribbean. Dans le montage prévu, chacun d’entre eux aurait détenu entre 5 % et 16,5 % du capital. Le jeudi 22 décembre, le patron de Damen, René Berkvens, était encore à Saint-Nazaire pour s’assurer de l’appui de tous les protagonistes sur place. « Il nous a exposé son projet en français, et paraissait très motivé », témoigne François Janvier, de la CFE-CGC.
Mais au cours des trois jours suivants, la rédaction de l’offre définitive provoque un affrontement entre les membres du consortium constitué autour de Damen, relate un de ceux qui ont suivi les tractations. Au cœur du conflit, la future politique de prix. L’industriel néerlandais souhaite relever les tarifs pratiqués par les chantiers, afin de redresser leurs comptes et de rentabiliser son investissement. Une perspective logiquement contestée par les clients armateurs. En quelques heures, le consortium explose. Le lundi, Damen n’est pas en mesure de présenter une offre en solo.
Conforter sa domination
C’est ainsi que Fincantieri se retrouve seul en piste. Le groupe italien, l’un des plus anciens constructeurs européens de navires, s’était déjà mis sur les rangs en 2014 lorsque STX avait une première fois envisagé de vendre sa filiale française. En absorbant Saint-Nazaire, l’un de ses deux principaux concurrents, il espère conforter pour longtemps sa domination sur le marché mondial.
L’affaire n’est pas encore bouclée pour autant. D’une part, la puissance du nouvel ensemble pourrait inciter certains clients, ou des rivaux comme l’allemand Meyer Werft, à saisir les autorités chargées du respect de la concurrence afin d’empêcher la constitution d’un duopole en Europe. D’autre part, l’Etat français n’a pas dit son dernier mot. Politiquement, il ne peut guère bloquer la vente de Saint-Nazaire à un industriel européen de renom. Mais le gouvernement souhaiterait un élargissement du tour de table de la filiale française au constructeur naval militaire DCNS, qu’il contrôle. Cela renforcerait le poids de l’Etat, qui détient déjà 33 % en direct, et limiterait l’influence de Fincantieri.
A cela pourraient s’ajouter des mesures spécifiques pour éviter toute fuite de technologie vers la Chine. Fincantieri a en effet créé en juin 2016 une coentreprise avec China State Shipbuilding Corp., une société contrôlée par Pékin, afin de construire de grands navires de croisière en Chine. Avec cette alliance, les Chinois risquent-ils d’acquérir le précieux savoir-faire européen ? C’est l’inquiétude de certains à Saint-Nazaire.
Une pépite dans un groupe en crise
Les chantiers navals de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) constituent la seule activité aujourd’hui rentable de STX Offshore and Shipbuilding. Alors que le groupe sud-coréen accuse depuis des années des pertes croissantes provoquées par une gestion défaillante et une demande mondiale en berne, sa filiale française a remonté la pente avec brio, en améliorant sa compétitivité, en commençant à diversifier ses activités au-delà des navires de croisière et en engrangeant de nombreux contrats. MSC et Royal Caribbean Cruises Limited, les deux grands clients des chantiers, ont encore confirmé le 21 décembre 2016 la commande de cinq paquebots pour un montant total de 4 milliards d’euros. Le carnet de commandes de Saint-Nazaire est à présent rempli jusqu’en 2026.