Une Iranienne dans une station-service, à Téhéran, en 2010. | ATTA KENARE / AFP

Les compagnies pétrolières reprennent le chemin de l’Iran, un an après l’entrée en vigueur effective de la levée des sanctions internationales décrétées en 2012 contre la République islamique pour l’obliger à renoncer à son programme nucléaire militaire. Plusieurs médias, à Téhéran, ont annoncé, mardi 3 janvier, que vingt-neuf sociétés européennes et asiatiques – mais aucune américaine – avaient été retenues pour participer aux futurs appels d’offres pour développer des gisements de pétrole et de gaz. Le ministère du pétrole doit les lancer en 2017, mais il n’a encore fourni aucune date.

Les Iraniens ont amélioré la nature des contrats pour rendre les projets plus attractifs et plus rémunérateurs pour les compagnies internationales. Alors que l’accord sur le nucléaire de juillet 2015 était en pleine discussion, les pétroliers étrangers avaient discrètement repris contact avec leurs homologues iraniens.

Peut-on se passer de l’Iran ? Même si son brut n’est pas de la meilleure qualité et qu’il nécessite un fort apport de technologie, le pays dispose de 9,3 % des réserves prouvées de brut, si l’on tient compte des huiles extra-lourdes et des sables bitumineux dans ce classement. Il arrive derrière le Venezuela (17,7 %), l’Arabie saoudite (15,7 %) et le Canada (10 %), mais devant l’Irak (8,4 %).

Total, première compagnie occidentale à revenir en Iran

En outre, l’Iran possède les deuxièmes réserves de gaz de la planète derrière la Russie, notamment grâce au gisement géant de Pars sud qu’il partage avec le Qatar dans les eaux du golfe arabo-persique. Jusqu’à présent, le petit émirat a une très grande longueur d’avance dans l’exploitation de ces richesses gazières, vendues dans le monde entier sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL).

Trois compagnies, en pointe depuis 2015, ont signé des pré-contrats avec l’Iran. Présent depuis 1954, Total a paraphé, le 8 novembre, un accord prévoyant un investissement de 4,8 milliards de dollars (4,62 milliards d’euros) pour exploiter du gaz dans le golfe arabo-persique – ce qui fait du groupe dirigé par Patrick Pouyanné la première compagnie occidentale du secteur pétro-gazier à revenir en Iran.

Son ministre du pétrole, Bijan Namdar Zanganeh, avait alors souligné que le groupe « a toujours été un pionnier et a accepté [par le passé] de venir en Iran dans des conditions difficiles ». Total avait affrété, dès février 2016, le premier tanker de brut iranien à destination de l’Europe.

De son côté, l’anglo-néerlandais Shell a conclu, un mois plus tard, trois protocoles pour développer les champs pétroliers d’Azadegan sud et de Yadavaran, et le gisement gazier Kish (sud). Quant au russe Gazprom, il a profité des relations entre Téhéran et Moscou pour obtenir de possibles droits sur deux champs dans l’ouest du pays.

L’Iran, seule, ne peut développer ses immenses ressources

D’autres grandes compagnies ont été retenues pour les appels d’offres probablement lancés début 2017 : l’italien Eni, très actif ces dernières années, le russe Lukoil (et toujours Gazprom), les chinois CNPC et Sinopec, le malaisien Petronas, les japonais Japan Petroleum Exploration et Mitsubishi, les sud-coréens Korea Gas Corporation et Posco Daewoo. La National Iranian Oil Company (NIOC) ne peut, faute de moyens financiers et techniques suffisants, développer seule les immenses ressources en hydrocarbures du pays.

Plusieurs grandes compagnies manquent néanmoins à l’appel, un signe clair que tous les contentieux sont loin d’être levés entre la République islamique et les Occidentaux. Les propos de Donald Trump n’excluant pas de remettre en cause l’accord de juillet 2015 levant les sanctions, tout comme le maintien de certaines restrictions bilatérales de la part de l’administration Obama sur les échanges commerciaux, ont alimenté la prudence des compagnies anglo-saxonnes.

Ainsi BP n’était-il pas candidat aux appels d’offres, alors que l’histoire de la major britannique est intimement liée à l’Iran : c’est son ancêtre l’Anglo-persian Oil Company qui fit les premières découvertes dans la région, en 1908. Officiellement, le groupe britannique dit s’interroger sur l’intérêt du retour sur investissement en Iran et affirme avoir « de nombreuses opportunités intéressantes ailleurs ». Mais c’est aussi la major européenne la plus « américaine » avec 40 % de son actionnariat et 30 % de ses salariés, y compris son patron, Bob Dudley. Selon le Financial Times, BP aurait dû créer une société ad hoc sans dirigeants américains pour envisager de signer des contrats avec l’Iran.

Les compagnies américaines absentes

Car de nombreux obstacles politiques et financiers limitent encore les échanges entre les Etats-Unis et la République islamique. L’usage du dollar dans les transactions est scruté par les autorités américaines, de même que les entreprises iraniennes ayant des liens avec les Gardiens de la Révolution. L’Iran demeure, pour Washington, un Etat soutenant le terrorisme, notamment à travers le Hezbollah libanais.

Les géants américains ne sont donc pas au rendez-vous, qu’il s’agisse de Chevron, de ConocoPhilipps et surtout d’ExxonMobil, la première compagnie pétrolière mondiale par la capitalisation boursière. Le géant d’Irving (Texas) s’avance d’autant moins que Rex Tillerson, son patron jusqu’en décembre 2016, a été nommé à la tête de la diplomatie américaine par Donald Trump.

Les Iraniens sont très vite revenus dans le jeu pétrolier après la levée des sanctions, début 2016, refusant les injonctions de l’Arabie saoudite qui lui demandait de participer aux coupes de production réclamées aux autres membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour faire remonter les cours déprimés de l’or noir. Ryad a finalement accepté que Téhéran en soit exempté. La NIOC produit désormais 3,7 millions de barils par jour, selon l’agence Bloomberg ; le pays s’est fixé un objectif de 5,7 millions au début de la prochaine décennie, un niveau proche de celui qu’il avait avant la Révolution islamique de février 1979. Il leur faut pour cela trouver quelque 200 milliards de dollars de capitaux étrangers d’ici au début de la prochaine décennie.