Manuel Valls, sur le marché de Noël de Strasbourg, le 22 décembre. | PATRICK HERTZOG / AFP

Manuel Valls et Vincent Peillon, les deux candidats tardifs de la primaire à gauche, ont présenté leurs projets respectifs mardi 3 janvier. Alors que la compétition s’accélère, moins de trois semaines avant le premier tour de l’élection (le 22 janvier) et neuf jours avant le premier débat télévisé (le 12 janvier), la gestion de l’agenda médiatique devient une arme politique. Pas question donc d’offrir à la concurrence la possibilité d’occuper seule le terrain.

L’ancien premier ministre et l’ex-ministre de l’éducation nationale ont chacun un positionnement délicat à trouver avant le vote. Les deux autres candidats principaux de la primaire, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, attaquent le bilan de François Hollande, rappelant qu’ils ont quitté le pouvoir en 2014, sur fond de désaccord politique. MM. Valls et Peillon, eux, assument ce bilan, mais revendiquent une part d’inventivité personnelle. Difficile équilibre, illustré avant les fêtes par la proposition de M. Valls de supprimer l’article 49.3, qu’il a pourtant utilisé à six reprises comme chef de la majorité pour faire voter la loi Macron et la loi travail.

Soucieux de parler au cœur du Parti socialiste, M. Peillon tente de ressusciter l’héritage des années bénies du gouvernement Jospin, au risque d’oublier que l’histoire a mal fini le 21 avril 2002. Il veut incarner « une candidature de respect », fidèle à une gauche de gouvernement social-démocrate, mais sans l’intransigeance vallsiste de l’exercice du pouvoir. Dans son projet, le professeur de philosophie met fortement l’accent sur l’enseignement supérieur et la recherche, en promettant de créer 8 000 postes supplémentaires d’enseignants sur cinq ans, ainsi que 4 000 postes de jeunes chercheurs et ingénieurs, pour « gagner la bataille de l’intelligence ». L’eurodéputé propose également un « new deal européen » avec le déploiement d’un plan d’investissement communautaire de « 1 000 milliards d’euros » pour financer des secteurs d’avenir.

Droit de vote des étrangers aux élections locales

Sur le plan institutionnel, M. Peillon plaide pour une élection des députés à la proportionnelle dans « les grandes régions » pour lutter contre le « poison du fait majoritaire ». Un référendum, qui serait programmé à l’automne 2017, prévoit aussi l’indépendance effective des magistrats du parquet, la transformation du Conseil constitutionnel en Cour constitutionnelle et la mise en œuvre du droit de vote des étrangers aux élections locales.

Au niveau budgétaire, M. Peillon entend « poursuivre » la baisse des déficits publics, mais veut augmenter le budget de la justice de 5 % par an pendant tout le quinquennat, mettre en place la CSG progressive et réformer la fiscalité sur la transmission des patrimoines et la détention de capital. Sans abroger la loi travail, il entend revenir sur sa mesure principale, en rétablissant la hiérarchie des normes dans le droit du travail.

De son côté, M. Valls cherche à incarner une gauche de gouvernement débarrassée des ambiguïtés du hollandisme. Dans son projet, il insiste particulièrement sur la question européenne, proposant une « conférence de refondation de l’Europe » avec un seul « projet clair : la protection des Européens à l’heure de la mondialisation ». Une défense de la « souveraineté » qui s’adresse notamment aux classes populaires qui s’estiment « dépossédées de leur destin », afin de leur montrer qu’il a entendu les messages électoraux envoyés par le Brexit britannique ou la victoire de Donald Trump aux Etats-Unis.

« Le projet doit pouvoir évoluer »

Reprenant ses plaidoyers pour une « nation éducative » et une « renaissance démocratique », M. Valls souhaite également « redonner du pouvoir d’achat » aux Français. Il propose ainsi la mise en place d’un « revenu décent », différent du revenu universel d’existence de M. Hamon, qui prévoit la fusion des minima sociaux et la création d’un revenu d’autonomie pour tous les 18-25 ans. Concernant la lutte contre les discriminations, l’ex-premier ministre promet de « faire disparaître en 10 ans » l’écart de salaires femmes-hommes dans les entreprises.

Malgré ses cinquante pages, l’objectif du projet vallsien n’est pas de présenter une plate-forme de propositions ultradétaillées. « On n’est pas sur un catalogue présidentiel avec 110 propositions, mais plutôt sur une dizaine de priorités bien identifiées, car le projet doit pouvoir évoluer pour la présidentielle », explique Olivier Dussopt, son porte-parole. Selon le député de l’Isère, l’ancien premier ministre veut « éviter le syndrome Fillon élu en novembre à la primaire de la droite sur un programme précis, qu’il doit désormais mettre sous le tapis pour tenter de rassembler les Français ».

« Un mauvais congrès du PS »

Sur plusieurs aspects, les idées de MM. Valls et Peillon se rejoignent : tous deux proposent par exemple de porter à 2 % du PIB le budget de la défense, la création de 5 000 postes de gendarmes et de policiers supplémentaires en cinq ans, la limitation du cumul des mandats dans le temps et la baisse du nombre de parlementaires, la suppression de la Cour de justice de la République ou la consultation des citoyens lors de la fabrication des lois au Parlement. Au niveau européen, ils sont favorables l’un et l’autre à une « pause » dans le processus d’élargissement de l’Union, ainsi qu’au fonctionnement de l’Europe par « cercles » de pays si l’unanimité des 27 membres est introuvable sur certains dossiers.

Un tel parallélisme fait dire au camp Valls que la candidature de M. Peillon n’existe en réalité que par calcul interne pour empêcher leur champion. « Quelle est la ligne politique de Vincent Peillon, à part gêner Manuel Valls ? Cela ne fait pas un projet, c’est au contraire la meilleure façon de faire de la primaire un mauvais congrès du PS », estime M. Dussopt.

Face à ce duel à distance, MM. Montebourg et Hamon, candidats, eux, depuis cet été, ne veulent pas être en reste. Les deux, qui ont listé leurs propositions, savent qu’ils doivent désormais mettre l’accent sur leur chiffrage. L’ancien ministre de l’économie, qui a déjà dévoilé son « projet France », organise mercredi une nouvelle conférence de presse pour préciser ses propositions en matière économique et sociale. L’ex-ministre du redressement productif cherche ainsi à se différencier de tous ses concurrents. « Ma candidature n’est pas une candidature de gestion ou de soumission à l’ordre établi, ni une candidature de prospective pour les vingt prochaines années, mais une candidature de transformation pour les cinq mois qui viennent », explique M. Montebourg, mettant sous la même toise MM. Peillon, Valls et Hamon.