Laurindo Feliciano

C’est l’un des rares sujets qui fassent l’unanimité lorsqu’on parle d’Europe. Le programme Erasmus ne suscite pratiquement que des louanges. Une exception, à l’heure où l’Union européenne essuie des critiques de tout bord.

Selon une étude réalisée en 2014 par TNS Sofres, 73 % des Français connaissent ce dispositif, et 90 % de ceux qui en ont bénéficié recommandent vivement d’y participer. Au-delà de son apport pour l’apprentissage des langues (cité par 72 % des « anciens » du programme), Erasmus permet de tisser des liens avec des étudiants d’autres pays, et d’étoffer sa formation en vue d’un emploi. Bref, une période positive à tous points de vue : académique, professionnel, et même sur le plan personnel.

« Bien plus qu’un simple échange universitaire, Erasmus constitue pour les étudiants une véritable expérience de vie »
Jean-Guy Bernard, directeur général de l’école de management EM Normandie

« Bien plus qu’un simple échange universitaire, Erasmus constitue pour les étudiants une véritable expérience de vie, estime Jean-Guy Bernard, directeur général de l’école de management EM Normandie. Beaucoup quittent leur famille pour la première fois de façon prolongée. Ils apprennent à se débrouiller dans un pays inconnu, rencontrent d’autres jeunes… Tout cela les fait grandir. » Un formidable aiguillon pour toute une classe d’âge, au point qu’on a pu parler de « génération Erasmus », popularisée par le film L’Auberge espagnole, de Cédric Klapisch, sorti en 2002.

Les chiffres, il est vrai, sont impressionnants. Depuis 1987, année de sa création, près de 4 millions d’étudiants européens sont partis à l’étranger, en échange universitaire ou en stage, grâce à Erasmus. En France, ce sont plus de 600 000 étudiants et près de 75 000 enseignants et formateurs qui ont bénéficié d’une bourse du programme, sans compter d’autres bénéficiaires comme les lycéens et les adultes en formation professionnelle.

« Rôle-clé dans le processus de construction européenne »

Erasmus a en outre contribué à transformer l’enseignement supérieur européen. « Au fil des ans, toutes les universités se sont emparées de ce dispositif et ont multiplié les accords d’échange, souligne Thierry Berkover, chargé de mission mobilité internationale à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée (UPEM). Elles ont ainsi appris à se connaître et à travailler ensemble, par-dessus les frontières. De ce point de vue, c’est une réussite incontestable. » Pour Guillaume Blaess, ­directeur adjoint chargé des relations internationales à l’école de commerce Audencia de Nantes, « le programme a permis de démocratiser les échanges universitaires et il a grandement favorisé l’harmonisation des cursus en ­Europe. Erasmus a ainsi joué un rôle-clé dans le processus de construction européenne ».

Mais à ces constats positifs, il faut ajouter plusieurs bémols. Le premier, de l’avis général, ­réside dans l’insuffisance des financements, qui ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées. Ainsi cette année, en France, la moitié seulement des demandes de bourses de formation professionnelle ont pu être satisfaites. « La bourse Erasmus ne couvre le plus souvent qu’une partie assez faible du coût total du séjour à l’étranger, remarque Jean-Guy Bernard, de l’EM Normandie. Dans les pays où le coût de la vie est onéreux, les étudiants y sont de leur poche. » Le succès d’Erasmus doit beaucoup aux aides complémentaires accordées par les Etats, les régions et parfois les établissements eux-mêmes.

« Source de confusion »

Certes, le budget total vient de bénéficier d’un sérieux coup de pouce : en incluant les activités hors Europe, il a été fixé à 16,4 milliards d’euros – dont 1,26 milliard pour la France – pour la ­période 2014-2020. Soit une hausse d’environ 40 %. Des améliorations ont aussi été apportées au dispositif. Les aides, par exemple, bénéficieront davantage aux étudiants déjà boursiers.

Le Monde

Mais, dans le même temps, le programme, ­devenu Erasmus +, ne cesse de s’élargir. Il couvre aujourd’hui une multitude d’actions : l’apprentissage, la mobilité des professeurs, la recherche, la formation professionnelle, ­l’enseignement scolaire, l’aide au handicap, et même le soutien à la réforme des politiques ­publiques… « Même pour les enseignants, cette extension tous azimuts du programme est source de confusion, note CamilleDulor, responsable des relations internationales à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. Nous devons leur expliquer ce qu’est Erasmus +, en quoi il diffère de l’Erasmus qui leur est familier. »

« Pas d’argent jeté par les fenêtres »

Nombre d’acteurs pointent aussi la lourdeur du dispositif. « Les procédures sont contraignantes, aussi bien avant le départ des élèves à l’étranger que pendant leur séjour et à leur ­retour, indique Jean-Guy Bernard. Nous devons sans cesse leur rappeler les démarches à effectuer. » A l’UPEM, Thierry Berkover renchérit : « Il y a, par exemple, un test de langue obligatoire avant le départ de l’étudiant, et un autre quand il revient. Nous devons aussi garder des preuves que nous avons bien relancé l’étudiant pour qu’il rédige son rapport de fin de mobilité. Ce suivi n’est pas inutile, mais il est porté par les établissements. Nos services sont donc très sollicités. » A Nantes, Guillaume Blaess, d’Audencia, nuance cependant ces griefs : « Ces contraintes sont aussi un gage du sérieux d’Erasmus. Il n’y a pas d’argent jeté par les fenêtres, contrairement à ce que certains imaginent parfois », assure-t-il.

Reste la question du Brexit. Compte tenu de la place de la langue anglaise, le Royaume-Uni est un pilier d’Erasmus. Qu’adviendra-t-il lorsqu’il quittera l’Union européenne ? Pour nombre de responsables, il est probable qu’il gardera au moins une place au sein du programme – à l’instar de la Norvège ou de l’Islande, pays participants moyennant des finances accrues. D’autant que la plupart des Britanniques y semblent très attachés. Signe que, malgré des réserves, Erasmus conserve intact son prestige.