Alors que la date fatidique de la fin de mandat du président sortant Yahya Jammeh approche, le 19 janvier, l’étau de la légalité continue de se resserrer autour de l’autocrate, au pouvoir depuis plus de vingt-deux ans. La Cour suprême, qui devait juger, mardi 10 janvier, le recours déposé par le camp Jammeh contestant le résultat de la présidentielle du 1er décembre 2016, n’a pu se réunir aujourd’hui faute de juges. Des six juges qui devaient siéger, aucun n’était présent à Banjul à l’ouverture de l’audience.

Les cinq Nigérians et le Sierra-Léonais n’ont pas répondu à l’appel du régime. Dans un courrier lu par Le Monde Afrique, les cinq Nigérians ont décliné « l’invitation », officiellement pour « un problème de calendrier », alors que le Sierra-Léonais serait toujours à Freetown, selon les agences.

Maintien du recours

« Il n’y aura pas de verdict aujourd’hui pour la simple raison que Yahya Jammeh ne peut établir une cour sans juges, et la Cédéao n’a pas autorisé les juges sollicités à quitter leur pays respectif », analyse James Gomez, ancien maire de Banjul et nommé par l’entourage d’Adama Barrow, le successeur légitime de Yahya Jammeh, responsable de l’organisation de la cérémonie de passation de pouvoir.

Seul le procureur général de Gambie, le Nigérian Emmanuel Fagbenle, était présent ce jour à la Cour suprême et, après deux heures d’attente, a notifié à l’avocat de Yahya Jammeh, Edward Gomez, qu’un examen du recours ne serait possible qu’en mai. Selon des sources concordantes, il a demandé à Edward Gomez si le président sortant maintenait sa plainte d’ici là. Ce dernier lui a répondu par l’affirmative.

Pourquoi faire appel à des juges étrangers pour une affaire nationale ? « Le secteur légal en Gambie est extrêmement faible, explique Niklas Hutlin, professeur à l’université américaine George Mason (Virginie) et spécialiste de la Gambie. Mais il n’y a aucun accord entre le Nigeria et la Gambie pour qu’Abuja envoient du personnel judiciaire à Banjul, les juges peuvent ne pas venir s’ils le souhaitent. » Alors que l’audience du recours devait se tenir ce matin, l’absence de juges bloque de facto le processus.

« Détermination à résoudre la crise »

Au même moment, à Abuja, la Communauté économique d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) redouble d’efforts pour convaincre Yahya Jammeh de se retirer le 19 janvier. A l’initiative des médiateurs de la crise gambienne, le président nigérian Muhammadu Buhari et l’ancien président ghanéen John Dramani Mahama, une réunion extraordinaire, lundi, a réuni, outre les deux précités, le président du Sénégal Macky Sall et Ellen Johnson Sirleaf, présidente du Liberia et de la Cédéao.

Le président nigérian Muhammadu Buhari (dr.) accueille à Abuja l’ex-président du Ghana John Mahama, le 9 janvier 2017, pour une deuxième réunion destinée à dénouer la crise gambienne. | SUNDAY AGHAEZE/AFP

« Les chefs d’Etat se sont entendus sur leur détermination à résoudre la crise politique en Gambie, dans le respect de la Constitution et de la volonté du peuple gambien », a déclaré à l’issue de la réunion Geoffrey Onyeama, ministre des affaires étrangères nigérian. MM. Buhari et Mahama ainsi que Mme Sirleaf ont décidé de se rendre en Gambie mercredi pour une deuxième tentative de médiation avec le président sortant.

Fin décembre déjà, les chefs d’Etat de la sous-région avaient mené une mission diplomatique à Banjul, rencontrant les présidents sortant et élu. Quelques jours plus tôt, la présidente de la Cédéao s’était quant à elle vu refuser le droit d’atterrir en Gambie. Tandis que Yahya Jammeh a multiplié ces derniers jours les attaques verbales à l’encontre de l’organisation ouest-africaine, la possibilité qu’il empêche mercredi la venue des chefs d’Etat inquiète. « Il en est parfaitement capable après ses sorties contre la Cédéao à la télévision nationale », estime un ancien diplomate gambien en exil.

Le 1er janvier, alors que la Cédéao a autorisé l’usage de la force « en dernier recours », Yahya Jammeh avait en effet estimé cette prise de position comme « une déclaration de guerre », clamant que la Gambie « était prête à se défendre contre toute agression ». Lundi 9 janvier, Geoffrey Onyeama a cependant réitéré la position de la Cédéao, déclarant que « la violence devrait être évitée mais rien n’est exclu ».

« Risque de répression »

A Banjul, Yahya Jammeh montre les muscles. Depuis le 1er janvier, quatre radios privées ont été fermées par les services de sécurité. Aucune raison officielle n’a été avancée, mais la neutralité de ces médias autant que leur suivi de l’actualité du président élu a joué en leur défaveur, expliquent plusieurs sources. « C’est aussi une façon de faire peur aux autres médias qui font un travail équilibré, analyse un journaliste gambien à Banjul, sous le sceau de l’anonymat. Aujourd’hui, j’ai peur, non seulement pour mon média, mais aussi pour tous les autres qui travaillent de façon crédible, tous peuvent être fermés d’un jour à l’autre. »

Autre signal envoyé par la présidence aux Gambiens qui osent maintenant défier l’autorité du président sortant, les forces de sécurité s’en sont prises à la société civile et à la campagne #GambiaHasDecided sur les réseaux sociaux en arrêtant ces dernières semaines plusieurs personnes qui vendaient dans les rues de la capitale des tee-shirts estampillés du hashtag. Selon Jim Wormington, chercheur à Human Rights Watch, cela « montre qu’il existe un risque de répression grandissant à l’approche de la date limite du 19 janvier à laquelle M. Jammeh doit se retirer ».

A l’unisson fin décembre, les chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest avaient décidé de se rendre à Banjul pour assister à la passation de pouvoir, le 19 janvier. Mais Yahya Jammeh leur avait répondu que l’inauguration n’aura pas lieu « tant que la cour n’a pas tranché ».