Comment un ex-espion du MI6 se retrouve au centre des accusations contre Donald Trump
Comment un ex-espion du MI6 se retrouve au centre des accusations contre Donald Trump
Un ancien agent du renseignement britannique est désigné comme l’auteur du rapport de 35 pages sur le futur président américain, dont l’existence a été révélée mardi par des médias américains.
Le siège du renseignement extérieur britannique, le MI6, à Londres. | BEN STANSALL / AFP
Avant de quitter précipitamment sa grande maison de briques de Runfold, dans la campagne du Surrey (70 km au sud-ouest de Londres), Christopher Steele a confié ses trois chats à son voisin. Quelques heures après sa disparition, le nom de ce père de quatre enfants apparaissait à la « une » de tous les médias du monde. L’homme de 52 ans, présenté comme un ancien agent du MI6, les services secrets extérieurs britanniques, reconverti dans le « conseil », serait l’auteur d’un rapport explosif de trente-cinq pages révélant les liens entre Donald Trump et le régime russe de Vladimir Poutine, mis en ligne par le site BuzzFeed mardi 10 janvier, dix jours avant l’intronisation officielle du 45e président des Etats-Unis.
Ce document, qualifié de « bidon » par Donald Trump, mercredi 11 janvier, lors de sa conférence de presse, ferait état de l’existence d’une vidéo à caractère sexuel, mais contiendrait également des informations sur les contacts du président élu avec le Kremlin, notamment ses liens avec des hommes d’affaires russes, identifiés par les services américains comme des agents russes.
Accusant les agences de renseignement américaines d’avoir organisé la fuite, le milliardaire a tweeté : « Vivons-nous dans l’Allemagne nazie ? » Selon une des nombreuses sources anonymes sur lesquelles s’appuie le document, les services secrets russes (FSB) posséderaient un enregistrement de Donald Trump en compagnie de prostituées dans la suite présidentielle de l’hôtel Ritz-Carlton de Moscou en novembre 2013. Mercredi, le magazine Penthouse offre un million de dollars à qui lui fournira ces supposés enregistrements. Des témoignages selon lesquels M. Trump se serait vu offrir de juteux privilèges en Russie en échange de son allégeance seraient aussi inclus.
Un homme de l’ombre
Habitué au travail de l’ombre, Christopher Steele, présenté comme « un professionnel hautement considéré » et « compétent », craindrait désormais pour sa vie. M. Steele « ne travaille pas » pour l’administration britannique, a laconiquement dit Downing Street. Selon la presse britannique, Steele est un ancien espion du MI6 ayant travaillé pendant une vingtaine d’années sous couverture diplomatique en Russie – dans les années 1990 –, à Paris, et au Foreign Office. Il a commencé une seconde carrière comme consultant en fondant en 2009 la société Orbis Business Intelligence, dont le siège est situé dans un immeuble cossu à la façade lourdement ouvragée du quartier de Grosvenor Gardens, près de la gare Victoria, dans l’ouest de Londres. « Nous fournissons des conseils stratégiques, organisons des opérations destinées à rassembler des informations et menons des enquêtes complexes, souvent transnationales », écrit Orbis sur son site Internet, proposant notamment « des rapports sourcés en temps réel sur les entreprises et la politique à tous les niveaux ».
La crédibilité accordée à Christopher Steele provient notamment des informations qu’il a fournies à la CIA sur la corruption à la tête de la FIFA, la fédération internationale de football. Initialement, Orbis avait été saisie par la fédération britannique de football, qui souhaitait organiser la Coupe du monde 2018 ou 2022. Moscou et le Qatar ont finalement été choisis, mais l’enquête du FBI, alimentée par des informations de Steele, a abouti à la mise en cause des dirigeants de la FIFA et à la démission de son président Sepp Blatter.
Fort de ce succès, M. Steele aurait été appointé par Fusion GPS, une officine établie à Washington, spécialisée dans la recherche d’informations secrètes sur les hommes politiques et dirigée par un ancien journaliste du Wall Street Journal. Sa mission : enquêter sur les liens de Donald Trump avec la Russie et Vladimir Poutine. Selon la BBC, Fusion GPS a été saisie à l’origine par Jeb Bush, l’un des seize adversaires de Donald Trump pour l’investiture républicaine à la présidentielle. Mais après que ce dernier eut été choisi comme candidat, l’enquête a continué à être financée par un proche de la campagne de Hillary Clinton.
Le FBI tenu informé
En juillet dernier, Christopher Steel aurait amassé tant d’informations compromettantes qu’il en aurait fait part à un ancien collègue du FBI pour vérification, ainsi que probablement aux services britanniques. Ce qui a probablement conduit Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères britannique, à déclarer mardi devant les Communes que la Grande-Bretagne a informé Donald Trump que la Russie « mijote toutes sortes de sales tours comme des cyberattaques » et était derrière le piratage pendant l’élection présidentielle américaine.
Mais, à la fin de l’été, l’ancien espion britannique, déçu de la passivité du FBI à l’égard de ses informations, aurait décidé alors de les transmettre à la presse. Le magazine d’investigation de gauche américain Mother Jones est le premier à en faire état, le 31 octobre. Mais les médias qui en ont connaissance les gardent sous le coude, faute de pouvoir vérifier les prétendues révélations. Le correspondant de la BBC à Washington vient ainsi de détailler les investigations menées depuis cet été sur ce dossier. Alors que l’élection présidentielle approche, le FBI annonce une enquête sur l’utilisation d’un serveur de messagerie privé par la campagne de Hillary Clinton pour transmettre des documents secrets. Mais demeure muet sur les documents réunis par Christopher Steele.
Pourtant, l’affaire rebondit lorsque John McCain, sénateur républicain opposé à M. Trump, rencontre à Halifax (Canada), lors du Forum international sur la sécurité, un ancien haut diplomate qui a vu le rapport et estime que ses sources sont dignes de foi. L’ancien challenger de Barack Obama à la présidentielle de 2008 dépêche alors un émissaire pour rencontrer son auteur britannique, selon le Guardian.
Informé du contenu du rapport, M. McCain estime qu’une enquête est nécessaire pour le vérifier et, le 9 décembre, le remet confidentiellement à James Comey, le patron du FBI. Ses services ont dû le considérer suffisamment crédible pour en inclure un résumé dans le rapport du renseignement sur les activités russes qui a été remis conjointement à Barack Obama et à Donald Trump. La publication controversée par le site BuzzFeed du rapport Steele, mardi 10 janvier, le précipitera dans le domaine public, avant que le Wall Street Journal ne révèle, le premier, l’identité de l’ex-espion britannique aux trois chats, désormais introuvable.