Les éleveurs de canards s’interrogent sur l’organisation de leur filière
Les éleveurs de canards s’interrogent sur l’organisation de leur filière
LE MONDE ECONOMIE
Les nouvelles normes sanitaires n’ont pas empêché la propagation du virus H5N8. L’industrialisation de la production est pointée du doigt.
Dans un élevage de palpimèdes en Dordogne, le 5 décembre. | REMY GABALDA / AFP
Contrôles sanitaires renforcés dans les élevages, vérifications accrues lors des transports, réduction des lots produits chaque année… plusieurs pistes ont été évoquées, mercredi 11 janvier, lors de la réunion sur la crise de la grippe aviaire qui s’est tenue au ministère de l’agriculture. Mais aucune décision « à chaud » n’a été annoncée. Pourtant, il y a urgence pour les éleveurs et producteurs de canards du sud-ouest de la France et, à moyen terme, pour l’ensemble de la filière et ses 100 000 emplois.
La veille, le ministère a décidé d’étendre à 187 le nombre de municipalités devant procéder à l’abattage préventif d’oies et de canards susceptibles d’être touchés par la grippe aviaire et son virus, dit H5N8. Avec les Hautes-Pyrénées, les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, le Gers (60 communes) est le département le plus concerné par la mesure.
En tout, près d’un million de palmipèdes devraient être euthanasiés directement sur les exploitations d’ici au 20 janvier. Un principe de précaution destiné à lutter contre la propagation fulgurante de cette épizootie, non transmissible à l’homme mais qui fait des ravages en quelques heures dans les « parcours », ces élevages en plein air.
Mastodontes contre production locale
Si l’enquête, confiée à la direction générale de l’alimentation, déterminera les causes de la propagation et l’origine des foyers, les premiers étant apparus dans le Tarn le 29 novembre, la colère monte chez les éleveurs. Des plaintes contre X ont été déposées par la chambre d’agriculture du Lot-et-Garonne et une quinzaine d’éleveurs afin de savoir si ce sont seulement des oiseaux migrateurs sauvages qui ont importé le virus ou si des erreurs humaines ont été commises.
Des animaux malades ont en effet été transportés dans le Tarn alors que les services vétérinaires du département étaient en train d’analyser les résultats du premier foyer d’infection. En cause, un camion de la coopérative Vivadour. Filiale du géant Maïsadour, cette coopérative agricole, forte de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2015, est le principal acteur économique du Gers. Elle regroupe 4 000 exploitants et emploie 850 salariés.
Le collectif Canards en colère, créé par une cinquantaine de petits éleveurs du département, et la Confédération paysanne ont mis en cause directement Vivadour et « un système industriel qui multiplie les énormes structures, qui usent et abusent des transports sur des centaines, voire des milliers de kilomètres ». Une industrialisation de la production qui provoquerait et amplifierait les crises sanitaires.
L’accusation a été rejetée, début décembre, par Christophe Terrain, président de Vivadour depuis vingt-cinq ans. Mais celui-ci a démissionné le 2 janvier afin de se consacrer à sa candidature aux prochaines élections législatives.
Toujours est-il que, depuis le début des années 1990, la filière s’est fortement concentrée. La France, premier producteur mondial avec plus de 35 millions de canards abattus chaque année et son produit phare, le foie gras, a dû s’adapter à la demande.
Trois grandes coopératives se répartissent environ 70 % du marché français : Vivadour (et ses marques Delpeyrat et Comtesse du Barry), Lur Berri (Labeyrie) et Euralis (Rougié et Montfort). Celles-ci fonctionnent dans un système intégré, de la naissance et du couvage des canetons à la commercialisation des produits en passant par l’élevage, le gavage et la transformation.
Des nouvelles normes inefficaces
« L’augmentation du nombre d’animaux génère évidemment du risque », explique Pierre Pérès, petit éleveur dans le sud du Gers avec quinze salariés et 45 000 canards. Car, à côté des mastodontes, de petits éleveurs se spécialisent ou se regroupent pour vendre en circuit court, la plupart du temps sous indication géographique protégée
« On ne travaille que sur des rayons de dix kilomètres maximum en vendant à des petits gaveurs, à des restaurants ou à des épiceries », explique M. Pérès, pour qui l’année commence très mal. « Nous avons été infectés début janvier et l’ensemble de nos canards ont été abattus. Ici, on suspecte des goélands arrivés en nombre, mais pour nous, c’est la catastrophe. Malgré les mesures sanitaires prises en 2016, il faudra bien trouver des solutions, non pour éradiquer le virus mais pour mieux s’en protéger. »
Les nouvelles normes de biosécurité imposent des sas sanitaires sur les exploitations, des zones bétonnées aménagées pour les chargements, et tous les camions doivent être équipés de carnets de désinfection et d’atomiseurs pour les nettoyer. En 2016, Vivadour avait mobilisé 8 millions d’euros pour aider ses producteurs des Landes à s’équiper.
Ces mesures n’ayant pas empêché la crise actuelle, la filière va devoir repenser ses modes de production et surtout de protection. Ses représentants seront reçus par Stéphane Le Foll au ministère le 19 janvier. Pour Marie-Pierre Pé, secrétaire générale du Cifog, le syndicat interprofessionnel de producteurs de foie gras, « le coup est très rude mais la filière s’en remettra. Elle devra surtout en tirer les leçons ».