Renault, Fiat Chrysler et les autres : 6 questions sur le nouveau « dieselgate »
Renault, Fiat Chrysler et les autres : 6 questions sur le nouveau « dieselgate »
LE MONDE ECONOMIE
Après Volkswagen fin 2015, c’est au tour de Renault et Fiat Chrysler d’être soupçonnés de tromperie sur les émissions polluantes de leurs moteurs diesel.
L’affaire dite du « dieselgate » prend une nouvelle tournure en ce début d’année. Jeudi 12 janvier, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire concernant Renault, soupçonné de tromperie sur les émissions polluantes de ses véhicules diesel. Le même jour, le troisième constructeur américain, Fiat Chrysler Automobiles (FCA), a été accusé par l’EPA, l’agence américaine de protection de l’environnement, d’avoir dissimulé la présence d’un logiciel ayant conduit à des émissions excessives de gaz polluants dans plus de 100 000 de ses voitures diesel aux Etats-Unis.
Tout ceci rappelle le scandale Volkswagen (VW), qui a éclaté le 18 septembre 2015. Après l’investigation d’une ONG et de l’agence environnementale californienne, la marque allemande a admis avoir caché un logiciel truqueur dans 11 millions de ses véhicules diesel dans le monde, dont 600 000 aux Etats-Unis, dans le but de minimiser les émissions de gaz polluants lors des tests d’homologation de ses véhicules. L’EPA avait alors déclenché une procédure ayant conduit à une sanction sans précédent pour un fabricant d’automobiles.
Que reproche-t-on précisément à Fiat Chrysler ?
L’EPA accuse Fiat Chrysler d’avoir installé sans le dire un logiciel qui supprime le dispositif de dépollution du véhicule afin d’améliorer les performances des véhicules. Cette suppression a augmenté de fait les émissions d’oxydes d’azote (NOx) de 104 000 moteurs diesel 3.0 litres équipant deux modèles : la Jeep Grand Cherokee et le pick-up Dodge Ram 1 500, l’une de ces énormes camionnettes à plateau qu’affectionnent les conducteurs américains.
L’EPA reproche essentiellement au constructeur italo-américain d’avoir caché la présence de ce logiciel, qui n’est pas forcément illégal en lui-même. Cette dissimulation constitue une violation de la loi américaine sur l’air (« Clean Air Act »). « Dans le cadre du processus de certification, les constructeurs automobiles sont tenus de divulguer la présence de tout logiciel pouvant modifier la façon dont un véhicule émet de la pollution atmosphérique », précise la notification de l’EPA.
En revanche, pour le moment, l’agence se garde de parler de « logiciel truqueur » comme chez VW. Elle précise qu’elle continue ses investigations pour vérifier si ces logiciels constituent des dispositifs d’invalidation (« defeat devices ») illégaux, spécialement conçus pour fausser les tests d’homologation des véhicules.
Une précision : l’accusation ne porte que sur les émissions de NOx, un gaz qui pénètre profondément dans les poumons et affecte la respiration. Elle ne concerne donc ni les émissions de dioxyde de carbone, un gaz non toxique mais responsable de l’effet de serre, ni les rejets d’autres polluants émis par les moteurs thermiques, comme les particules.
Que se passe-t-il pour Renault ?
Le constructeur français est dans l’œil de la justice avec l’ouverture, le 12 janvier, d’une information judiciaire. Trois juges d’instruction sont chargés d’enquêter sur une éventuelle « tromperie sur les qualités substantielles et les contrôles effectués, avec cette circonstance que les faits ont eu pour conséquence de rendre les marchandises dangereuses pour la santé de l’homme ou de l’animal », détaille une source proche du parquet de Paris.
Il s’agit de la suite des investigations ordonnées par les autorités françaises après la révélation du scandale VW. Fin 2015, le ministère de l’écologie avait mis en place une commission d’experts indépendants, dite « commission Royal », chargée d’effectuer des tests sur une centaine de véhicules vendus sur le territoire. Les travaux avaient révélé d’importants dépassements des seuils de pollution chez certains constructeurs, en particulier sur des modèles récents de Renault (Captur, Kadjar et Talisman diesel).
Les travaux de la « commission Royal » a révélé d’importants dépassements des normes dans plusieurs véhicules diesel de Renault, dont le Kadjar. | Martial Trezzini / AP
Ce constat avait déclenché une enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. Dans le cadre de ses investigations, celle-ci avait mené, en janvier 2016, une série de perquisitions au siège social de Renault, dans son centre technique de Lardy (Essonne) et au technocentre de Guyancourt (Yvelines), puis transmis ses conclusions au parquet de Nanterre. Celui-ci s’est dessaisi la semaine dernière au profit du parquet de Paris.
Que risquent les constructeurs ?
FCA est passible de sanctions civiles, écrit l’EPA dans sa notification. L’agence précise que le constructeur encourt des pénalités de plus de 4,6 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros). Dans le cadre des procédures américaines, cette somme est susceptible d’être négociée.
Le groupe italo-américain peut en effet croire raisonnablement en la mansuétude du futur gouvernement de Donald Trump, le président élu ayant maintes fois fustigé le poids des régulations environnementales sur l’activité économique. Il faut dire que son PDG, Sergio Marchionne, a joué habilement en rapatriant la semaine dernière la construction d’un modèle fabriqué au Mexique et promettant la création de 2 000 emplois dans le Michigan. Cela devrait aider FCA à négocier une sortie à moindres frais de cette ornière.
Quant à Renault, la douloueuse pourraît être sévère. Le code de la consommation prévoit sept ans d’emprisonnement et une amende maximale de 750 000 euros – qui peut être portée à 10 % du chiffre d’affaires – pour les faits qui lui sont reprochés. Ce qui représenterait pour la firme au losange une ardoise de 4,5 milliards d’euros.
Au-delà des sanctions pénales, les constructeurs risquent surtout une perte de confiance des investisseurs et des acheteurs. Les actionnaires ont été les plus prompts à réagir. Le titre Renault a chuté de plus de 4 % à la Bourse de Paris à l’annonce de l’information judiciaire. L’an dernier, lors de la révélation des perquisitions, le titre Renault avait dévissé de 20 %. Même sanction pour Fiat Chrysler, qui a perdu 18 % à la Bourse de Milan aussitôt l’accusation de l’agence de l’environnement américaine connue.
Volkswagen, qui doit payer au total 22 milliards de dollars d’amendes diverses, a durablement terni son image aux Etats-Unis et a été contraint de revoir sa stratégie globale de fond en comble. De plus, la défiance rejaillit sur l’ensemble de l’industrie, y compris sur les acteurs les plus irréprochables.
Les trucages datent-ils d’avant ou d’après l’affaire VW ?
Détail frappant dans l’affaire Fiat-Chrysler : les véhicules mis en cause ont été produits en 2014, 2015 et 2016. Soit, pour certains, bien après la révélation du scandale Volkswagen. De là à penser que les industriels n’ont tiré aucune leçon du « dieselgate », il n’y a qu’un pas.
C’est oublier que les programmes très lourds et complexes de l’industrie automobile, durent au moins cinq ans. Ce délai correspond au temps nécessaire à la mise au point d’une génération de voitures, sachant qu’il faut plus de temps encore pour concevoir un nouveau moteur.
« La construction automobile est une industrie lourde, nous ne pouvons pas prendre de décision du jour au lendemain », expliquait, en mars, Christian Peugeot, le président du Comité des constructeurs français d’automobiles, à une mission d’enquête de l’Assemblée nationale. En réalité, les vrais premiers véhicules post-dieselgate ne seront probablement disponibles pour le client qu’en 2020.
Les contrôles n’avaient-ils pas été renforcés après les révélations sur VW ?
Justement oui. Et c’est d’ailleurs pourquoi les affaires sont désormais rendues publiques aujourd’hui avec fracas. La révélation sur les modèles de Chrysler est par exemple issue du programme de tests élargis mis en place par l’agence américaine environnementale en septembre 2015.
L’affaire Renault, on l’a vu, découle des travaux de la commission Royal. Des groupes d’enquête analogues ont été mis en place en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie. Les autorités allemandes avaient d’ailleurs déjà transmis leurs doutes sur Fiat à la Commission européenne à l’été 2016.
D’autres véhicules ou constructeurs sont-ils concernés ?
Le dieselgate n’est probablement pas terminé. Les nombreuses investigations lancées après septembre 2015 sur les véhicules dans des conditions réelles de conduite déboucheront sans doute sur d’autres révélations et mises en cause. Les constructeurs s’énervent de ce qu’ils appellent des amalgames. Ils rappellent que c’est l’homologation officielle, réalisée sur banc d’essai, qui fait foi, puisqu’elle est la seule à pouvoir comparer entre eux les véhicules de manière incontestable.
Il n’empêche, l’ONG européenne Transport & Environment (T & E), qui a compilé les données portant sur 230 modèles, a dressé en septembre 2016 un tableau noir des constructeurs et des véhicules, c’est-à-dire ceux dont les émissions dépassent fortement, en conditions réelles de conduite, les normes autorisées.
Parmi eux, la Fiat 500x, un petit 4x4 urbain, emporte le pompon de l’explosion des compteurs dans la catégorie des moteurs classés Euro6, autrement dit les plus « propres ». Les émissions d’oxydes d’azote du petit bolide dépassent sur route jusqu’à quinze fois la norme légale. T & E a aussi pointé du doigt cinq modèles Mercedes, quatre BMW, Ford, Hyundai, Renault et trois Opel et Volvo.
La commission Royal, de son côté, a approfondi ses investigations sur les véhicules les plus suspects, dont la Fiat 500x, pour laquelle FCA s’est refusé à donner des explications. Au passage, les experts français ont dédouané une Peugeot 5008 de tout soupçon de tricherie au logiciel. Elle doit examiner en février le cas d’une Mercedes Classe S, d’une Ford Kuga et d’une Opel Astra.