A Genève, le 12 janvier. | PHILIPPE DESMAZES / AFP

Chypre sera-t-elle bientôt réunifiée, comme l’espèrent l’ONU, l’Union européenne et les deux dirigeants de l’île méditerranéenne divisée depuis près de quarante-trois ans ? La question sécuritaire a malheureusement jeté, vendredi 13 janvier, une ombre sur les perspectives de règlement de ce conflit gelé au terme d’une nouvelleConférence multilatérale sur Chypre, à Genève, présidée par le nouveau secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

« Notre position reste (…) le retrait de l’armée turque », a tenu à souligner le président chypriote, Nicos Anastasiades, juste après la fin d’un premier round de pourparlers entre Chypriotes grecs et Chypriotes turcs. Une position partagée par Nicos Kotzias, le ministre grec des affaires étrangères, représentant de l’un des trois pays garants de l’île, avec la ­Turquie et le Royaume-Uni, conviés à cette réunion internationale. « Une solution juste au problème de Chypre suppose avant tout d’éliminer les problèmes qui sont à la racine du conflit, soit l’occupation, la présence des troupes occupantes », a-t-il rappelé.

La réaction du président turc, Recep Tayyip Erdogan, a été immédiate : « Le retrait total des soldats turcs est hors de question. »« Nous avons dit à Chypre et à la Grèce de ne pas compter sur une solution sans la Turquie comme garant. Nous allons rester là pour toujours », a-t-il déclaré après la grande prière du vendredi à ­Istanbul. Les chances de parvenir à une solution s’amenuisent alors que l’un des plus vieux conflits gelés au monde était peut-être sur le point d’être réglé. « Nous sommes très proches d’un règlement, a déclaré, pour sa part, M. Guterres, tout en restant prudent. Ne vous attendez pas à des miracles. Nous ne cherchons pas un bricolage ­rapide, mais une solution solide et pérenne pour Chypre. »

Cartes litigieuses

Des avancées étaient palpables, malgré des différends persistants, tant sur le partage des terres que sur l’épineux dossier des restitutions de propriétés, sans parler de la gouvernance de la future ­Chypre, vouée à devenir un Etat fédéral. Le dialogue semblait ­malgré tout bien fonctionner ­entre les deux dirigeants, Nikos Anastasiades, le président de ­Chypre, reconnue internationalement, et Mustafa Akinci, le président de la République turque du nord de Chypre (RTNC), reconnue par Ankara seulement.

L’un et l’autre ont ainsi présenté des cartes en vue d’un nouveau découpage de l’île. En cas de règlement, une partie des territoires contrôlés par la RTNC (37 % du territoire au total) sera rétrocédée aux Chypriotes grecs. Placées dans un coffre des Nations unies, ces cartes, objets de litige entre les deux communautés, seront examinées plus tard.

Chypre est coupée en deux depuis 1974, année où l’armée turque a envahi la partie nord après un coup d’Etat des ultranationalistes chypriotes grecs, désireux de rattacher l’île à la Grèce. Après l’invasion, plus de 100 000 personnes ont été déplacées. Les Chypriotes turcs se sont regroupés dans le nord de l’île, tandis que les Chypriotes grecs vivent dans la partie sud, la République de Chypre, seule entité reconnue.

Après l’échec d’un précédent plan de paix proposé par les Nations unies en 2004, les Chypriotes grecs, qui avaient voté non au référendum sur ce plan, ont, en revanche, vu l’intégration de la République de Chypre à l’UE. Les Chypriotes turcs, qui avaient largement voté en faveur du plan, se sont retrouvés plus isolés que jamais. Trente ans de négociations infructueuses ont tempéré les attentes des populations de part et d’autre de la « ligne verte » qui scinde l’île en deux, surveillée par des casques bleus de l’ONU.

Las de l’isolement et de l’embargo, les Chypriotes turcs veulent une solution. Traumatisés par la perte du quart nord de l’île, les Chypriotes grecs redoutent pour leur part l’ingérence de la Turquie dans le processus. Mais alors que Chypre voit sa sécurité garantie par son appartenance à l’UE, les Chypriotes turcs n’ont guère d’autre issue que de s’en remettre à la Turquie pour la leur.

Les négociations « de la toute dernière chance », selon le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, présent à Genève lui aussi, reprendront au sein d’un groupe de travail le 18 janvier. Résisteront-elles aux crispations en cours entre Athènes et Ankara ?

Le président turc a durablement semé le trouble à l’automne 2016, en questionnant le rattachement d’îles égéennes à la Grèce par le traité de Lausanne signé en 1923 et duquel la Turquie tire ses frontières actuelles. « Nous avons donné à Lausanne des îles si proches que notre voix ici peut être entendue ­là-bas », avait-il alors déclaré.

Le durcissement de ton à Ankara n’est pas sans inquiéter la Grèce. La tension risque de monter d’un cran le 23 janvier, lorsque la Cour de cassation grecque se prononcera sur la demande turque d’extradition de huit officiers turcs réfugiés en Grèce au lendemain du coup d’Etat manqué du 15 juillet.