Brexit : le chantage de Londres
Brexit : le chantage de Londres
Par Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Le Royaume-Uni menace de devenir un paradis fiscal pour peser face à l’Union européenne.
Le ministre britannique des finances, Philip Hammond, à Wooton, en novembre 2016. | TOBY MELVILLE / AFP
Si les 27 pays de l’Union européenne n’acceptent pas les exigences du Royaume-Uni, Londres deviendra une sorte de paquebot pratiquant le dumping fiscal et social aux portes du continent. Tel est le chantage qu’a développé le ministre britannique des finances, Philip Hammond, dimanche 15 janvier, deux jours avant que la première ministre, Theresa May, ne prononce un discours présenté comme stratégique sur le Brexit. Si le Royaume-Uni n’obtient « aucun accès au marché européen », le pays pourrait « changer de modèle économique » pour « regagner de la compétitivité », menace le chancelier de l’Echiquier dans le journal allemand Welt am Sonntag.
Tout en affirmant sa préférence pour le maintien dans son pays d’« un système d’impôts (…) et de régulation européen », le numéro deux du gouvernement affirme que, si tel n’est pas le cas, « les Britanniques ne vont pas se coucher ». « Nous changerons de modèle et reviendrons avec une compétitivité nouvelle », affirme-t-il, s’attirant les foudres du chef de l’opposition, Jeremy Corbyn, pour qui ce choix « d’une économie au rabais sur les rives de l’Europe » prépare « une sorte de guerre commerciale avec l’Europe ».
« Grande-Bretagne mondiale »
Le nouveau discours de combat du gouvernement britannique donne le ton des négociations qui doivent s’ouvrir fin mars, moment choisi par Mme May pour lancer la procédure de divorce avec l’UE. Il s’appuie sur l’analyse de Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, selon laquelle, en raison du poids de la City, le « continent » court davantage de risques de déstabilisation financière que le Royaume-Uni après le Brexit. En élevant le ton, M. Hammond résume la rhétorique que Londres devrait développer pour tenter d’obtenir à la fois l’accès au marché unique européen et la fin de la libre entrée des Européens sur le sol britannique. Deux exigences unanimement considérées comme inconciliables par les Vingt-Sept.
Les déclarations de M. Hammond apparaissent comme un lever de rideau au discours de la première ministre de mardi dont le contenu fait déjà l’objet de fuites et de supputations dans les médias. Selon le Sunday Times, Theresa May se prononcera en faveur d’un « Brexit propre et dur », autrement dit une rupture radicale des liens avec le continent. Le pays sortirait non seulement du marché unique mais aussi de l’union douanière, afin de construire une « Grande-Bretagne mondiale » capable de signer en solo des contrats de libre-échange avec ses anciennes possessions et les grandes puissances asiatiques et américaines. Alors que les négociations prévues par l’article 50 du traité de Lisbonne se limitent au divorce proprement dit, Londres souhaite que s’ouvrent en parallèle des discussions sur les futurs liens économiques avec l’UE, afin d’éviter un terrible « effet falaise » de saut dans l’inconnu.
Mme May souhaiterait conclure avec l’UE un accord ouvrant le marché unique à certains secteurs économiques vitaux comme l’automobile, l’industrie pharmaceutique et la finance. Mais elle voit dans le vote du Brexit une exigence de contrôle des frontières. A la surprise de Londres, les dirigeants des Vingt-Sept, Angela Merkel en tête, affichent un refus net de cette « Europe à la carte » exigée par les Britanniques. D’où le haussement de ton de M. Hammond et, probablement, de Mme May mardi. En cette année électorale, ni Berlin ni Paris, sous la pression des partis europhobes, ne peuvent accepter que le Royaume-Uni bénéficie d’un traitement de faveur après avoir quitté l’UE.
Bluff
Theresa May entend aussi rétorquer aux articles de presse incendiaires qui l’accusent d’être à la fois indécise et prête à sacrifier la City pour faire baisser l’immigration. La première ministre aurait donc décidé d’abattre ses cartes. Mardi, les 27 ambassadeurs des Etats de l’UE ont été dûment invités à Lancaster House pour écouter son discours. Mais qui sait la part de bluff dans le jeu d’une responsable politique qui n’a cessé de répéter qu’il ne convenait en aucune façon de « montrer son jeu » avant le début d’une négociation capitale ?
Mme May souhaite aussi tourner la page d’une séquence calamiteuse pour elle, marquée par la démission de son ambassadeur à Bruxelles, critique à l’égard du caractère « brumeux » de sa politique. Elle veut enfin anticiper l’effet de sa probable défaite devant la Haute Cour de justice qui pourrait, dans une semaine, l’obliger à saisir le Parlement avant d’engager l’article 50. Mais le vote qui s’ensuivrait apparaît comme une formalité pour elle, face à un Labour au plus bas dans les sondages. Alors que 30 % des Britanniques font confiance à la première ministre pour obtenir un « bon accord » sur le Brexit, ils ne sont que 13 % à en dire de même du Labour.