Le Cercle des ­économistes organise au journal Le Monde, le 18 janvier, le second des trois débats sur les principaux enjeux économiques et ­sociaux de l’élection présidentielle de 2017, autour du thème « Où va le travail ? » Ce cycle de débats regroupe des personnalités issues de dix think tanks, dont Erell Thevenon-Poullennec de l’Institut de l’entreprise, qui s’est exprimée, à cette occasion, dans nos colonnes.

Par Erell Thevenon-Poullennec, Institut de l’entreprise

C’est en légiférant que les pouvoirs publics pourront accompagner les transformations du travail. | Google Images

Demain, serons-nous tous indépendants ? Rien n’est moins sûr. A l’horizon 2030, le taux d’emploi non salarié pourrait avoisiner les 14,7 %, proche de ce qu’il était en… 1992. La fin du salariat n’est pas pour demain. Demain, serons-nous tous slashers, passant d’un emploi à l’autre et d’un employeur à l’autre en une seule journée ? Peut-être. Nous serons de plus en plus nombreux à cumuler plusieurs activités (comptable et photographe ; aide-soignant et déménageur ; DRH et enseignant…), pour des raisons d’épanouissement personnel, sous la contrainte financière, ou pour entretenir notre employabilité. Demain, serons-nous tous travailleurs à la demande ? Non.

Le travail sur les plates-formes numériques sera loin d’être la norme. En revanche, il pourrait se développer, permettant ainsi aux plus fragiles d’entre nous dont la productivité est faible de trouver de l’activité à défaut d’un emploi. Demain, serons-nous tous des flexible workers ? Si le travail indépendant n’augmente pas de façon significative, sa nature se modifie profondément. La légère hausse se concentre surtout sur les activités à haute valeur ajoutée, où les travailleurs sont plus diplômés que la moyenne et aspirent à une plus grande autonomie. Demain, serons-nous tous remplacés par des robots ? Il faudra nous adapter, nous former et accroître nos qualifications, pour occuper des emplois à haute valeur ajoutée.

Une activité au lieu d’une carrière

Nous vivons déjà le développement de ces nouvelles formes et organisations de travail. Celles-ci sont portées par deux dynamiques qui se nourrissent réciproquement : celle des technologies, notamment du numérique, et celle de l’aspiration à davantage d’autonomie. Au XXe siècle, faire carrière était une fin en soi. Aujourd’hui, avoir une activité – plus qu’un emploi – est un moyen d’accéder au bien-être. Les trajectoires ne sont plus linéaires ; un examen réussi à 20 ans ne garantit plus l’emploi à vie, pas plus qu’il ne préjuge de la capacité à s’adapter à un monde professionnel en accélération permanente. L’aptitude à se former en continu sera le sésame du travailleur de demain. Comment penser le travail dans cette accélération technologique ?

Le risque le plus important et le plus évident est celui de la fracture : fracture entre ceux qui sauront s’adapter aux nouveaux codes, injonctions, outils, organisations, relations du travail, et les autres. Comment embarquer tous les ­travailleurs dans ces dynamiques nouvelles ? Les jeunes – digital ­natives – auront-ils vraiment plus de facilités que les générations précédentes ? Comment les entreprises s’adapteront-elles ? Comment assurer la protection du travailleur : protection contre les risques sociaux mais également protection de la vie privée, lorsque les frontières entre les sphères privée et professionnelle deviennent poreuses ?

Le risque le plus évident et le plus important est celui de la fracture entre ceux qui sauront s’adapter et les autres

Le débat, absent de la campagne présidentielle, est celui de l’accompagnement de ces transitions. Plutôt que de s’attacher aux règles exis­tantes, il faut imaginer celles de demain. Nous devons commencer par faire exploser les tabous qui nous emprisonnent.

Sécuriser le travail

Une règle de conduite pour commencer : du sang-froid en matière de régulation. Retenons-nous de réglementer tous azimuts au risque de tuer l’innovation dans l’œuf. Facilitons l’expérimentation. Pour sécuriser les travailleurs sur les plates-formes de marché numériques, on peut imaginer un modèle social souple qui permette à ces structures d’être un levier de mobilité sociale, et non un piège pour les plus fragiles.

Quelques pistes ensuite. Il faudrait supprimer le lien de subordination, caractéristique du salariat, lui-même typique de la civilisation de l’usine, qui non seulement n’a plus de sens mais, surtout, conduit à des situations ubuesques où ceux qui en ont le moins besoin se retrouvent surprotégés. Un lien de dépendance économique pourrait lui être substitué. Un socle de droits fondamentaux, bénéficiant à tous les travailleurs, ­serait complété de droits à protection croissant avec le degré de dépendance économique, indépendamment du statut – salarié ou ­indépendant. On pourrait imaginer aussi que ce lien de subordination soit remplacé par l’acquisition de compétences. Quelle que soit la nature de sa relation de travail, le travailleur cumulerait des points qu’il conserverait sur un compte ­personnel.

C’est sur ces thèmes et voies inexplorées que nous devons travailler dès aujourd’hui, en appelant le gouvernement qui sortira des urnes au premier semestre 2017 à la sobriété en matière ­législative. Ces règles ne s’élaboreront pas en un jour. Nous avons besoin de temps et d’espace pour les mûrir.