Les événements se sont précipités mercredi 18 janvier en fin de journée, à la veille de la date prévue de l’investiture du président élu de Gambie, Adama Barrow.

Des forces sénégalaises ont pris position à la frontière gambienne et la franchiront à minuit si le président sortant Yahya Jammeh refuser de céder le pouvoir, a annoncé le colonel Abdou Ndiaye, porte-parole de l’armée sénégalaise, interrogé par Reuters.

Gambie : Adama Barrow sera-t-il investi président le 19 janvier ?
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« Nous sommes prêts et attendons l’échéance à minuit. Si aucune solution politique n’est trouvée, nous entrerons », a-t-il averti avant de préciser, cette fois à l’AFP: « nos troupes sont en alerte et s’entraînent depuis le début de la crise ». Des témoins disent avoir vu passer des convois militaires à Diouloulou et Ziguinchor, deux villages proches de la frontière. « Depuis le petit matin [mercredi], des centaines de soldats sénégalais se dirigent en camions vers la frontière gambienne », a déclaré l’un d’eux.

Des renforts du Nigeria

Yahya Jammeh, au pouvoir en Gambie depuis le coup d’Etat de 1994, refuse de le céder à Adama Barrow, vainqueur de la présidentielle du 1er décembre, et a décrété mardi l’état d’urgence. Son mandat s’achève à minuit.

Dans le même temps, le Nigeria, poids lourd régional et continental, se préparait dans l’éventualité d’une intervention militaire, que n’exclut pas en dernier ressort la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui presse depuis des semaines M. Jammeh de céder le fauteuil à M. Barrow.

L’armée de l’air nigériane a annoncé mercredi dans un communiqué l’envoi d’« un contingent de 200 hommes, ainsi qu’une flotte d’aviation comprenant un avion de combat, des cargos, un hélicoptère et un avion de surveillance et de reconnaissance à Dakar » en vue d’une opération en Gambie.

La Mauritanie tente une médiation

Les efforts pour éviter des troubles ont enregistré l’arrivée d’un nouveau médiateur : le chef de l’Etat mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, qui a pris l’avion mercredi après-midi pour la capitale gambienne Banjul. « Une initiative mauritanienne » visant « une solution de la crise en Gambie », a indiqué à l’AFP une source officielle à Nouakchott, sans plus de détails. L’initiative fait suite à des tentatives de médiations entreprises par la Cédéao et le Maroc, qui a proposé formellement, à l’instar du Nigeria, d’accueillir l’autocrate gambien si ce dernier acceptait de s’exiler. La Mauritanie entretient de bons rapports avec Yahya Jammeh, tout comme la Guinée qui pourrait elle aussi tenter de trouver une solution à cette crise post-électorale.

A New York, le Sénégal a présenté mercredi au Conseil de sécurité des Nations unies un projet de résolution pour soutenir les efforts de la Cédéao sur le dossier gambien, selon des diplomates. Dakar demande à l’ONU de soutenir « toutes les mesures nécessaires » pour la passation de pouvoirs, selon le texte consulté par l’AFP.

Les prochaines heures sont cruciales pour la Gambie, petit pays anglophone d’Afrique de l’Ouest plongé dans une grave crise depuis que M. Jammeh a annoncé le 9 décembre qu’il ne reconnaissait plus les résultats de la présidentielle du 1er décembre. Une semaine auparavant, il avait pourtant félicité M. Barrow pour sa victoire.

Yahya Jammeh, qui dirige ce pays pauvre d’une main de fer depuis 22 ans, affirme vouloir rester en place tant que la justice n’aura pas statué sur ses recours électoraux, malgré les pressions internationales.

Défections en série dans le camp Jammeh

A Banjul, au fil des heures, le camp des partisans de M. Jammeh enregistre de nouvelles défections : la vice-présidente Isatou Njie Saidy a démissionné mercredi, le ministre de la Santé Omar Sey la veille, selon leurs proches. Avant eux, plusieurs ministres avaient quitté leurs fonctions, dont ceux des Affaires étrangères, des Finances, de l’Information.

Adama Barrow, accueilli le 15 janvier au Sénégal dans l’attente de son investiture, à la demande de la Cédéao, n’est plus apparu en public depuis, mais son entourage soutient qu’il prêtera serment jeudi sur territoire gambien comme prévu, sans expliquer dans quelles conditions.

Dans un message sur son compte Facebook, un de ses conseillers, Mai Fatty, a jugé « illégale » la proclamation de l’état d’urgence mardi par M. Jammeh. « Si Jammeh ne démissionne pas à minuit [mercredi] il sera déclaré hors-la-loi, chef rebelle, et sera traité en conséquence », a prévenu M. Fatty.

Banjul avait mercredi des allures de ville en sommeil : circulation réduite, des boutiques étaient fermées et des denrées commençaient à manquer dans plusieurs quartiers, selon un journaliste de l’AFP et des témoins.

Touristes évacués et Gambiens en fuite

Par ailleurs, tous les malades, à l’exception des cas les plus graves, admis à l’hôpital Edward Francis Small, le plus grand du pays, ont commencé à être transférés vers d’autres établissements en raison de sa proximité avec le palais présidentiel, a indiqué à l’AFP un membre de son personnel.

A Old Jeshwang, une banlieue de Banjul majoritairement peuplé de pêcheurs, les prises se sont raréfiées en raison du départ en exil de nombre d’habitants, selon des témoignages. Le poisson, le pain et les recharges de crédit téléphonique commencent à manquer, leurs vendeurs ayant fui la Gambie.

Une vague de départs était aussi enregistrée parmi les touristes, en majorité des Britanniques et des Néerlandais attirés par les plages de sable fin de ce pays. Mercredi à la mi-journée, les plages étaient désertées, abandonnées à des employés désœuvrés et à des chèvres.

Des groupes de touristes étaient évacués de leurs hôtels par bus lors d’opérations organisées par le voyagiste britannique Thomas Cook, qui a décidé de rapatrier un millier de Britanniques et a proposé à 2 500 autres clients en Gambie un retour anticipé. Le géant du tourisme TUI a annoncé l’évacuation d’environ 800 clients.

Le climat s’est encore alourdi lorsque M. Jammeh a décrété mardi l’état d’urgence pour 90 jours, avec l’approbation de l’Assemblée nationale.