Remise de peine pour Chelsea Manning : les réponses à vos questions
Remise de peine pour Chelsea Manning : les réponses à vos questions
Damien Leloup, responsable de la rubrique Pixels du « Monde », a répondu, mercredi 18 janvier, aux questions des lecteurs du « Monde.fr » sur la remise de peine accordée par Barack Obama à Chelsea Manning.
Des manifestants demandant la grâce de Chelsea Manning, en 2015. | Elijah Nouvelage / REUTERS
Le président des Etats-Unis a annoncé, mardi 17 janvier, qu’il commuait la peine de Chelsea Manning. La lanceuse d’alerte, qui avait fourni des documents confidentiels de l’armée américaine à WikiLeaks, sera libre en mai. Elle avait été arrêtée en juin 2010 et condamnée en 2013 à trente-cinq ans de prison.
Verlo : Quels auront été les effets des révélations de Manning, au final ?
Chelsea Manning a fourni à WikiLeaks environ 700 000 documents de l’armée américaine, pour l’essentiel des rapports de troupes au sol en Irak et en Afghanistan. Ces documents, publiés par WikiLeaks, ont notamment permis de mieux comprendre le lourd tribut payé par les populations civiles dans les zones occupées par l’armée américaine après le 11-Septembre. Elle a aussi fait fuiter à WikiLeaks la vidéo dite « meurtre collatéral », qui montre un pilote d’hélicoptère de combat américain ouvrant le feu sur des civils dans la banlieue de Bagdad.
Raoul : Est-ce que Trump peut annuler la décision d’Obama ?
Techniquement, le nouveau président peut tenter de faire annuler cette remise de peine – Chelsea Manning ne sera libre qu’en mai. En pratique, il est juridiquement assez difficile de revenir sur une réduction de peine déjà accordée. Sur le plan politique, Donald Trump ne s’est – étonnamment – pas encore exprimé sur ce dossier. Par le passé, il avait eu des mots très durs envers Chelsea Manning et sa procédure de changement de sexe. Mais une partie des élus républicains, très remontés contre les révélations de WikiLeaks sur l’armée américaine il y a plusieurs années, ont adressé leurs remerciements à l’organisation après la publication des documents internes du Parti démocrate, durant la campagne présidentielle. Une tentative de nouvelles sanctions contre Chelsea Manning ne ferait probablement pas l’unanimité au sein du Parti républicain.
Egotistical Giraffe : Est-ce que Barack Obama, suite à sa décision concernant Manning, est susceptible de pardonner Edward Snowden ?
C’est très peu probable. La Maison Blanche a clairement expliqué qu’elle considère qu’il s’agit de deux cas très différents. Un porte-parole de Barack Obama a expliqué que « Chelsea Manning est une personne qui a été confrontée à tout le processus de justice militaire, qui a subi un procès, qui a été jugée coupable et a été condamnée pour ses crimes, et elle a reconnu avoir mal agi. M. Snowden s’est réfugié dans les bras d’un adversaire, un pays [la Russie] qui a récemment tenté de briser la confiance en notre démocratie ».
Par ailleurs, Chelsea Manning avait effectué une demande de grâce formelle, ce qui n’est pas le cas d’Edward Snowden, même si ses avocats avaient demandé à Barack Obama de « pardonner » leur client. Ce dernier a toujours dit qu’il était prêt à répondre de ses actes devant un tribunal, mais qu’il considérait que pour l’instant il ne pourrait avoir droit à un procès équitable.
Un dernier point à noter : Chelsea Manning n’a pas bénéficié d’une grâce présidentielle, qui aurait eu une toute autre portée symbolique, mais d’une réduction de peine.
Mel : En réduisant la peine de Chelsea Manning, c’est pas une façon pour Barack Obama d’admettre les erreurs commises par le gouvernement américain et finalement de ne pas cautionner ce qui a été fait ? (notamment parce qu’il réduit sa peine juste avant de partir de la Maison Blanche alors qu’il aurait pu le faire durant son second mandat).
Il y a probablement une partie de mea culpa dans la décision de Barack Obama. Mais on est très loin d’une remise en cause de la politique menée durant ses deux mandats : en fin de semaine dernière, le président a aussi étendu les pouvoirs des agences de renseignement, en autorisant la NSA à communiquer davantage d’informations aux seize autres agences américaines. Il est donc difficile de dire que Barack Obama n’assume pas les décisions prises durant son mandat en matière de sécurité nationale, tout comme la Maison Blanche a réaffirmé ce 17 janvier qu’une grâce d’Edward Snowden n’avait pas été envisagée.
La réduction de peine accordée à Chelsea Manning semble avoir été décidée davantage sur des critères humanitaires que sur des critères politiques : détenue à l’isolement, condamnée à la plus longue peine de prison jamais prononcée pour un lanceur d’alerte, Chelsea Manning a tenté à deux reprises de se suicider cette année.
Ryo : Barack Obama et son gouvernement ont poursuivi en justice plus de lanceurs d’alerte que tous les autres gouvernements réunis. Trump pourrait faire pire ?
C’est exact, l’administration Obama a poursuivi plus de lanceurs d’alertes que tous les autres gouvernements américains. Mais plus encore que le nombre de poursuites, c’est la manière dont elles ont été conduites que critiquent plusieurs ONG, dont Amnesty International. Chelsea Manning et Edward Snowden sont accusés d’avoir violé l’Espionage Act, une loi de 1917 conçue pour sanctionner les espions en temps de guerre. Ce texte ne permet pas de se défendre en invoquant avoir agi pour l’intérêt public, ce qui est la principale défense des lanceurs d’alerte.
Donald Trump engagera-t-il davantage de poursuites ? C’est pour l’instant impossible à dire. Mais le président élu a tenu à plusieurs reprises des propos très violents à l’encontre des lanceurs d’alerte. Il avait notamment, en 2013, qualifié Edward Snowden de « traître » et sous-entendu qu’il devrait être exécuté sommairement.
R. Daneel Olivaw : Bonjour, y a-t-il une différence entre la perception que se fait un peuple des lanceurs d’alertes et leur définition juridique ? Secondairement, la perception est-elle différente selon les pays ?
Effectivement, chaque pays dispose de sa propre définition juridique de ce qu’est un lanceur d’alerte – et dans certains pays, ce statut n’existe pas. Aux Etas-Unis, plusieurs lois différentes s’appliquent, selon le fait que le lanceur d’alerte travaille dans une entreprise privée ou dans le secteur public, selon le type d’informations qu’il veut révéler…
Dans les dossiers touchant à la sécurité nationale, comme c’était le cas pour Chelsea Manning ou Edward Snowden, les protections sont jugées très limitées : les lanceurs d’alerte potentiels doivent passer par une voie hiérarchique précise, que certains lanceurs d’alerte célèbres, dont Thomas Drake, ont dénoncée comme étant totalement inefficace.
PMB : Comment les WikiLeaks accueillent-il cette décision, eux qui ont détesté Obama ? Comment réagissent leurs partisans, qui sont aujourd’hui très antidémocrates ?
WikiLeaks a publié dans la nuit plusieurs messages sur les réseaux sociaux, ainsi qu’un communiqué de ses avocats. L’organisation se réjouit de la libération de Chelsea Manning, tout en se montrant très critique envers le bilan de Barack Obama. « La clémence pour Manning limite l’écho des hurlements face à l’incapacité d’Obama de pardonner Snowden », écrit WikiLeaks, tout en notant que le bilan du président sortant sur la protection des libertés personnelles est mauvais.
Concernant les soutiens de WikiLeaks, une partie des militants républicains qui ont soutenu Donald Trump et qui ont applaudi les révélations sur le parti démocrate se montrent fort peu conciliants avec Chelsea Manning. Le site Breitbart, principal site de l’Alt-Right (« droite alternative ») américaine qui a mené la campagne de Donald Trump, titre son article sur la remise de peine : « Obama libère Manning et 273 autres criminels ». Les ultraconservateurs américains ont aussi multiplié les insultes homophobes et transphobes envers Chelsea Manning, qui a entamé une procédure de changement de sexe durant sa détention.
Tbop : WikiLeaks avait récemment annoncé à plusieurs reprises que Julien Assange se rendrait à la justice américaine en cas de libération de Chelsea Manning. Qu’en est-il de cette décision ?
Les modalités précises sont encore très floues, mais l’avocat de Julian Assange a confirmé dans la nuit que son client « respecterait sa parole ». M. Assange avait évoqué à deux reprises l’idée qu’il répondrait favorablement à une demande d’extradition vers les Etats-Unis si Chelsea Manning était libérée. Une enquête sur les révélations de WikiLeaks est en cours depuis des années aux Etats-Unis, mais aucune demande d’extradition formelle n’a été faite.
M. Assange est en revanche sous le coup d’une demande d’extradition européenne, la justice suédoise demandant à l’entendre dans le cadre d’une affaire de viol, qu’il nie formellement et pour laquelle il n’a pour l’instant pas été mis en examen. L’une des raisons pour lesquelles M. Assange dit refuser de répondre à la convocation est sa crainte d’être ensuite extradé vers les Etats-Unis – mais les déclarations récentes de WikiLeaks ne disent pas s’il envisage de sortir de l’ambassade d’Equateur, où il a trouvé refuge depuis plusieurs années.