Bousculé par le Brexit, le budget de l’Union européenne au défi de trouver de nouvelles ressources
Bousculé par le Brexit, le budget de l’Union européenne au défi de trouver de nouvelles ressources
LE MONDE ECONOMIE
La sortie du Royaume-Uni de l’Union entraînera un trou d’environ 10 milliards d’euros dans le budget européen. Or, il apparaît exclu d’augmenter les contributions de chaque Etat membre, et donc des citoyens.
Même à Bruxelles, rares sont les experts capables de maîtriser tous les arcanes du budget de l’Union européenne (UE). Et pour cause : conçu sur une base pluriannuelle mais renégocié à la marge tous les ans, il est quasi illisible. Il va pourtant très vite se retrouver au cœur des discussions entre Européens et Britanniques lors du Brexit, quand Londres aura déclenché le fameux article 50, la procédure de divorce prévue par les traités.
La sortie du Royaume-Uni de l’Union sera « un choc » pour le budget européen. Elle entraînera un déficit d’environ 10 milliards d’euros par an et présage un « marchandage difficile » entre les Vingt-Sept pour y faire face, a ainsi estimé une étude de l’institut Jacques-Delors, publiée lundi 16 janvier.
Le budget de l’UE devrait devenir un sujet d’autant plus brûlant qu’il est la condition de l’autonomie d’action d’une Union en position de faiblesse inédite, alors que les Etats-Unis de Trump semblent vouloir s’en détourner, la laissant seule face à la menace russe. Avec quel argent les Européens vont-ils financer l’effort de défense supplémentaire ou leur politique migratoire, quand il faut actuellement des mois pour convaincre les pays membres d’envoyer quelques centaines de millions d’euros de plus à Bruxelles ?
Un budget plutôt modeste
C’est pour toutes ces raisons que les préconisations du rapport coordonné par l’ex-premier ministre italien Mario Monti avec des experts de la Commission, du Parlement européen et du Conseil (la réunion des Etats membres) ont rencontré un certain écho lors de leur publication, le 12 janvier.
Ses auteurs se gardent bien de réclamer l’augmentation pure et simple du budget communautaire, même si celui-ci reste très modeste : pour 2017, il a finalement été arrêté à 157,8 milliards d’euros de crédits d’engagements (des promesses de dépenses). Mais pas question d’augmenter la pression fiscale globale sur les citoyens, quand Bruxelles est déjà si impopulaire.
Les deux tiers de ces sommes proviennent des contributions des Etats membres, le reste est issu de la TVA et des droits de douane à l’entrée des marchandises dans le marché commun. Dans les années 1970 et 1980, la part de ces « ressources propres » était bien plus importante. Le rapport Monti préconise d’en revenir à cette situation, où le budget de l’Union dépendait moins directement des budgets nationaux.
Taxer les transactions financières ou les émissions polluantes
Il suggère pour cela d’instaurer une dizaine d’autres ressources propres pour l’Union, comme la fameuse taxe sur les transactions financières (en discussion depuis des années), une nouvelle taxe sur les émissions de dioxyde de carbone ou le diesel, un impôt sur les bénéfices des multinationales…
L’avantage serait d’en finir avec les bras de fer récurrents entre Bruxelles et les capitales. Car ces dernières, considérant leurs contributions d’un strict point de vue comptable comme autant d’argent en plus pour Bruxelles et en moins pour leurs finances publiques, négocient toujours pied à pied pour les réduire. Et ce même si, au final, ces sommes leur sont en partie reversées sous d’autres formes : fonds de cohésion, subventions liées à la politique agricole commune (qui représente encore 38 % du budget de l’UE), etc.
Les polémiques qui en résultent alimentent le « Bruxelles bashing » depuis des années. On se rappelle celle déclenchée par l’ex-premier ministre britannique David Cameron qui, fin 2014, refusa tout net d’envoyer 2 milliards d’euros supplémentaires à Bruxelles à la suite d’un nouveau mode de calcul des contributions nationales (fondé sur leur produit intérieur brut, leur démographie…). Cette affaire a pesé dans la campagne référendaire pour le Brexit.
Valoriser les apports non-financiers de l’UE aux Etats
Le rapport Monti recommande aussi d’abandonner le raisonnement basé sur la contribution nette d’un pays (différence entre l’enveloppe envoyée à Bruxelles et l’argent européen réinjecté en retour dans l’économie nationale). Car, expliquent ses auteurs, les bénéfices de l’Europe vont bien au-delà des sommes qui sont reversées via le budget : l’Etat membre profite à plein, par exemple, de l’accès au marché intérieur sans contrôles douaniers.
C’est parce que la contribution nette du Royaume-Uni était jugée trop élevée que Margaret Thatcher a exigé son fameux « rabais » en 1984, lors du conseil européen de Fontainebleau. Celui-ci complique le calcul du manque à gagner lié au Brexit dans le budget européen : les chiffres oscillent entre 7 et 11 milliards d’euros annuels.
M. Monti et ses collègues mettent le doigt sur des questions fondamentales sensibles, de solidarité et de souveraineté. L’Union aura du mal à faire l’économie d’une réforme, et la Commission envisage d’élaborer des propositions s’inspirant du rapport cette année, étant entendu que les discussions ne pourront sérieusement commencer qu’après les élections en France et en Allemagne. Certains, au Parlement de Strasbourg, espèrent déjà que ce sera l’occasion de jeter enfin les bases d’un vrai budget de la zone euro.