Quelques jours avant la fermeture du Miiverse, Nintendo a publié, pour remercier sa communauté, une fresque composée de milliers de ses meilleurs messages.

Ça y est, c’est fait : le Miiverse a fermé ses portes mercredi 8 novembre, à 7 heures.

Le service en ligne de Nintendo avait été dévoilé au salon de Los Angeles E3 de 2011, en même temps que la console Wii U, dont il était l’un des arguments de vente. Disponible dès 2012 sur la console de salon, puis à partir de 2013 sur Nintendo 3DS et accessible depuis un navigateur Web, le Miiverse devait permettre aux joueurs en difficulté de s’entraider en échangeant conseils, dessins et captures d’écran.

C’est grâce au Miiverse également que les joueurs de Super Smash Bros échangeaient des niveaux personnalisés ou organisaient des tournois ; qu’ils jetaient très littéralement des bouteilles à la mer dans The Legend of Zelda : Wind Waker HD ; qu’ils publiaient les vidéos de leurs performances dans Mario Kart 8. C’est aussi grâce à lui que le menu de la console ainsi que celui du jeu Splatoon accueillaient les joueurs avec des messages personnalisés.

Autant de fonctionnalités désormais obsolètes. Seul Super Mario Maker devrait être mis à jour pour permettre aux joueurs de continuer à partager leurs créations.

Mais avec la fermeture du Miiverse, c’est aussi toute une communauté qui se disperse. Une communauté qui, depuis 2012, s’était approprié les outils proposés par Nintendo et les avait détournés pour faire de ce forum un réseau social unique en son genre.

Un réseau social qui s’ignore

Sur le Miiverse, on parle de jeu vidéo, mais pas seulement. Il y est question de la vie quotidienne, de tout, de rien, des plaisirs de la vie souvent, de mal-être parfois. On ne valide pas le message d’un autre d’un « J’aime », on lâche un petit « Ouais » amical et informel. On flirte maladroitement, on discute, on s’engueule de temps en temps – mais c’est rare.

My Miiverse Story /2015-2017/
Durée : 03:56

« Je ne sais pas si c’est dû aux efforts de Nintendo en termes de modération ou à la nature de ses utilisateurs, mais je n’ai quasiment jamais vu de harcèlement ou d’injures sur le Miiverse », constate Daniel Switzer, observateur attentif de ce réseau depuis le premier jour.

Le public du Miiverse est effectivement bien singulier.

« D’expérience, l’utilisateur typique est un jeune garçon, âgé de 10 à 16 ans. Le Miiverse donne l’impression d’être un réseau social destiné à des gens trop jeunes pour être sur les réseaux sociaux. Les enfants n’ont pas de filtre, alors tout passe, que ce soit des mauvais dessins de Mario ou de Sonic, ou des réflexions absurdes comme “J’aimerais que les pieuvres [du jeu Splatoon] existent pour de vrai”. Les utilisateurs du Miiverse ne s’embarrassent pas de savoir si leurs messages sont gênants ou pas. »

Daniel Switzer s’en amuse, et amuse d’ailleurs les autres. Sur Twitter, son compte@BadMiiversePost approche les 70 000 abonnés. Là, il a relayé pendant près de cinq ans les messages les plus incongrus qu’il trouvait – ou qu’on lui soumettait. « Jamais pour rire d’eux, assure-t-il, mais pour trouver l’humour qui réside dans l’innocence de leurs messages. » Drôles, tristes, naïfs ou cyniques, ils faisaient souvent preuve d’un humour de mauvais goût, avec ses propres références, ses propres « mèmes ».

– Je suis nul à l’école mais au moins j’ai « Splatoon ».

– Papa, si tu vois ce message : rentre à la maison.

– Quelqu’un veut faire un jeu de rôle “Pokémon romantique” ? Réservé aux filles.

Le Miiverse est aussi devenu pour de nombreux artistes en herbe un moyen de partager leurs œuvres et de récolter quelques « Ouais » d’encouragement. Et pas de simples gribouillages rapides. Beaucoup d’entre eux étaient de véritables tours de force, d’autant plus remarquables que les outils à disposition (un écran tactile bas de gamme, un stylet en plastique et une palette monochrome) étaient basiques.

« Les dernières années, certaines des illustrations du Miiverse étaient incroyables, surtout celles des utilisateurs japonais », constate M. Switzer.

De nombreux artistes laissent exprimer leur créativité malgré les limites du Miiverse. / Nintendo

Le Miiverse enfin, c’était un conglomérat de communautés étranges, bizarres, avec leurs codes, leur humour, un peu à la façon du forum Reddit. La sous-section du Miiverse consacrée au jeu The Lapins Crétins Land était ainsi devenue, à l’initiative du journaliste et vidéaste Jim Sterling, « la page non-officielle des fans de Willem Dafoe », tandis qu’il encourageait les utilisateurs à y poster des dessins représentant l’acteur américain.

A visit to the Dafoeverse, Wii U's official Willem Dafoe Miiverse community
Durée : 14:25

Une vie après la fermeture

Pour le Miiverse, c’est bien la fin. La Switch, dernière console de Nintendo, n’embarque pas de système comparable, préférant s’appuyer sur des réseaux sociaux existants pour permettre aux utilisateurs de partager leurs expériences.

« Au bout du compte, il s’agissait d’un réseau social qui demandait de se servir d’une Wii U ou d’une 3DS, analyse Daniel Switzer de Bad Miiverse Post. Quand des alternatives gratuites comme Twitter ou Facebook existent, le Miiverse exclut d’office beaucoup d’utilisateurs potentiels. »

La disparition mercredi 8 novembre du Miiverse, réseau social de niche réservé à un public invisible, ne fera pas pleurer grand monde, surtout sur l’Internet des « grands », ceux qui sont inscrits sur Twitter ou Facebook. Pourtant, avec lui, c’est tout une petite partie du patrimoine de la culture Internet et jeu vidéo qui disparaît.

Ou qui aurait, du moins, pu disparaître. Il y a deux mois, Nintendo avait en effet mis à disposition des utilisateurs un outil permettant de sauvegarder leurs créations. Mais jugeant l’initiative insuffisante, Tim Miller, un développeur américain, a pris la tête d’une petite équipe de trois personnes afin de tenter d’archiver tous les documents du Miiverse à sa disposition sur le site Archive.org.

« Nous avons archivé environ 137 millions de messages et 6,7 millions de profils différents », se félicite celui qui, à quelques heures de la fermeture, était occupé à dénicher les derniers messages. Les documents ainsi sauvegardés sont actuellement en cours de mise en ligne sur le site Archive.org.

« Nintendo, comme la plupart des sociétés développant des réseaux sociaux, n’a pas réfléchi en amont à sa fermeture. Personne ne devrait se voir dire “n’oubliez pas de télécharger vos images et de copier/coller vos commentaires”. Il faut avoir conscience qu’il ne s’agit pas juste de dessins : il s’agit de gens. De leurs amitiés. Tout ça a disparu avec le Miiverse. »

« #SauvezLeMiiverse » : jusqu’à la dernière minute, nombreux ont été les joueurs à manifester leur regret de voir fermer le réseau social de Nintendo. / Nintendo

C’est le regret qu’exprimait un jeune utilisateur de 13 ans, interviewé à trois heures de la fermeture du service. Comme quelques autres, il a anticipé la fin du service en trouvant refuge sur le service de messages Discord, ou sur le forum Reddit, pour continuer à côtoyer les amis qu’il s’est faits en ligne.

« La fermeture du Miiverse me rend très triste. Bien sûr il y avait des problèmes, mais c’était quand même super de passer des heures pour y écrire des messages et lire ceux des autres. Pendant longtemps, ça a été ma seule ouverture sur le monde extérieur. »