L’interne Sabrina Ali Benali contre l’AP-HP, histoire d’une confusion
L’interne Sabrina Ali Benali contre l’AP-HP, histoire d’une confusion
Par Guilhem Dubernet
La jeune femme, qui veut alerter sur les conditions des hôpitaux, est accusée depuis hier par Martin Hirsch d’avoir menti sur son appartenance à l’AP-HP. Ce n’est pas si simple.
Sabrina Ali Benali interpelle Marisol Touraine dans une vidéo diffusée sur YouTube et Facebook. | Youtube/Sabrina Ali Benali
Sabrina Ali Benali est « interne à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ». C’est en tout cas comme cela que la jeune femme est présentée sur les plateaux de télévision et de radio où elle est intervenue cette semaine (C8, TMC et France Inter). L’engouement pour Mme Ali Benali s’explique par une vidéo publiée le 11 janvier sur Facebook (11 millions de vues au 19 janvier) et sur YouTube (plus de 135 000 vues), dans laquelle la jeune femme, qui est également militante au Parti de gauche et impliquée dans la campagne de Jean-Luc Mélenchon, interpelle Marisol Touraine, ministre de la santé, au sujet du manque de lits dans les hôpitaux.
Elle est interrogée par Léa Salamé dans la matinale de France Inter le 18 janvier. Le soir, sur la même station, Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP, affirme que la jeune femme ne travaille pas au sein de l’AP-HP mais dans un « hôpital privé à but non lucratif ».
Le lendemain, Patrick Cohen annonce « s’être fait avoir » par son invitée de la veille. Mme Ali Benali, elle, se défend de toute accusation de mensonge et brandit sa fiche de paye de décembre 2016 affichant le sigle de l’administration publique.
Au milieu de toutes ces déclarations, difficile d’y voir clair. En réalité, personne n’a totalement tort… ni raison.
Sabrina Ali Benali ne ferait pas partie de l’AP-HP
Pourquoi c’est plus compliqué
Sur France Inter, dans l’émission « Le téléphone sonne », le 18 janvier, M. Hirsch affirmait que Mme Ali Benali « n’est pas à l’AP-HP ». Après recherche, il est vrai que l’interne ne travaille pas ce semestre dans un hôpital géré par l’administration publique, mais dans un hôpital privé. A la suite de cette déclaration, M. Cohen, présentateur de la matinale de France Inter, a fait un « mea culpa », affirmant que l’interne avait été présentée à tort comme « une salariée de l’AP-HP ».
Le soir même de l’intervention de M. Hirsch, la jeune femme a exhibé sur Facebook une fiche de paye de l’AP-HP pour y prouver son appartenance.
De quoi parle-t-on ? L’internat est une part du cursus des étudiants en médecine : ils effectuent un travail, pour lequel ils sont rémunérés, sur le modèle d’un stage, et dépendent pour cela de l’administration hospitalière du lieu où ils se trouvent. En tant qu’interne, Mme Ali Benali est donc bien salariée de l’administration publique, l’AP-HP ici. L’établissement l’a d’ailleurs reconnu dans l’après-midi sur Twitter.
Comme pour tous les internes de la région parisienne sa fiche de paie est émise par l’AP-HP https://t.co/WuY2m3rB6i… https://t.co/3CA8U9FOQs
— APHP (@AP-HP)
Le fait qu’elle n’exerce pas dans un hôpital directement géré par l’AP-HP vient du fait que les internes changent d’établissement tous les six mois. Parmi ces hôpitaux, certains, privés, ont signé une convention avec l’administration publique qui reste chargée du dossier des internes pour les questions de salaires mais aussi de « prise en charge partielle du titre de transport, demande de congé parental, demande de disponibilité après maternité… ». Tout cela est précisé dans le manuel des internes établit par l’administration.
Lorsque M. Hirsch dit sur France Inter que « quand elle déclare, “la semaine dernière…”, ça ne s’est pas passé dans les hôpitaux de l’AP-HP », le haut fonctionnaire a raison, mais sans doute prend-il la mouche un peu vite : à aucun moment l’interne n’accuse précisément la seule administration de M. Hirsch de dysfonctionnement ; elle parle des hôpitaux en général. Contactée par téléphone, elle précise à nouveau qu’elle a « toujours interpellé Mme Touraine et pas M. Hirsch » afin de dénoncer « des dysfonctionnements dans toutes les structures » et pas seulement les hôpitaux publics parisiens.
« Elle s’est laissé présenter comme faisant partie de l’AP-HP »
C’est vrai
Lors de ses divers passages en plateaux de télévision ou de radio, Mme Ali Benali n’a jamais repris les journalistes qui la présentaient comme une « interne AP-HP ». Là où certains y ont vu une tromperie, il y a en fait une interprétation différente du sens de la phrase. Si Mme Ali Benali s’est « laissé présenter » comme tel, c’est tout simplement parce que son dossier d’interne est géré par les Hôpitaux de Paris. Les journalistes l’invitant ont simplement supposé d’emblée que cela impliquait un emploi dans un hôpital public.
L’hôpital de Mme Ali Benali n’a pas de service d’urgence
C’est faux
Dans son édito du 19 janvier, M. Cohen explique pourquoi il avait « l’impression de s’être un peu fait avoir » par Mme Ali Benali en reprenant l’affirmation de la veille de M. Hirsch. Le présentateur précise que l’interne « est affectée actuellement dans un hôpital privé du 12e arrondissement [de Paris] où il n’y a pas de service d’urgence ». La jeune femme mentirait donc lorsqu’elle se présente dans sa vidéo.
Mme Ali Benali travaille dans un hôpital privé géré par un établissement de santé privé d’intérêt public (Espic), autrement dit un groupe privé chargé de plusieurs établissements. Ce groupe possède bien un hôpital sans service d’urgence dans le 12e arrondissement de Paris. Mais l’interne est affectée dans un autre hôpital du groupe, situé dans un autre arrondissement. C’est d’ailleurs en contactant le service des urgences de cet établissement que nous avons réussi à entrer en relation avec Mme Ali Benali. Pour des questions de « secret professionnel », cette dernière n’a pas souhaité que son établissement soit mentionné.