Le handball toujours privé d’antenne
Le handball toujours privé d’antenne
Par Henri Seckel
Seuls les abonnés de BeIN Sports peuvent regarder toutes les rencontres de l’équipe de France depuis le début du Mondial. Les autres doivent espérer que les Bleus aillent loin.
L’équipe de France, le 19 janvier 2017, avant le match contre la Pologne. | LOIC VENANCE / AFP
Entre 2001 et 2017, d’un championnat du monde à domicile à l’autre, le handball français est passé par deux sacres olympiques, a engrangé 200 000 licenciés supplémentaires, et s’apprête à battre un record d’affluence au stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq (Nord), où les Bleus joueront samedi 21 janvier devant 27 500 personnes. Bref, la discipline a changé de dimension, sortant du gymnase pour atteindre la cour du grand public. « A l’époque, c’était le milieu du handball qui suivait l’équipe de France, se souvient Didier Dinart, médaillé d’or comme joueur il y a seize ans. Aujourd’hui, c’est la France qui suit l’équipe de France. »
« La France abonnée à BeIN Sports », devrait préciser celui qui entraîne désormais les « Experts », en quête d’un sixième titre mondial. Car la France qui ne paie pas quinze euros par mois pour recevoir les chaînes du groupe qatari, à savoir 95 % de la population, est privée de son équipe nationale depuis le début du tournoi. Voilà au moins une chose qui n’a pas changé depuis 2001 – il fallait alors être abonné à la chaîne Pathé Sport.
Mercredi 11 janvier, tout le pays pouvait assister à un malheureux quart de finale de Coupe de la Ligue entre le PSG et le FC Metz sur France 3, mais pas voir ses exceptionnels handballeurs qui virevoltaient au même moment lors du match d’ouverture face au Brésil, uniquement diffusé sur BeIN Sports 1. Et samedi, il faudra connaître un ami abonné, se rendre dans un café au patron conciliant, ou consulter un site de streaming illégal pour suivre le huitième de finale face à l’Islande, retransmis sur BeIN Sports 3.
L’occasion était pourtant belle pour le hand hexagonal, avec ce tournoi à la maison, et une équipe parmi les plus belles de l’histoire, de poursuivre son essor. « L’objectif du handball en France, qui est de gagner des parts de marché sur les sports majeurs comme le foot et le rugby, est complètement bloqué par le fait que le foot et le rugby passent sur des grands réseaux hertziens, alors que nous, on y est trop peu », souligne, un peu désabusé, l’ancien sélectionneur Daniel Costantini.
80 millions d’euros de droits
Seuls 609 000 téléspectateurs en moyenne – à peine plus que le nombre de licenciés, autour de 540 000 – ont regardé le match d’ouverture. Pas de quoi susciter des vocations en masse. « On aurait préféré que l’ensemble des matchs de l’équipe de France passent en clair, admet Claude Onesta, manager général des Bleus. On aurait tout intérêt à ce qu’il y ait des millions de téléspectateurs, pour notre développement et pour nos partenaires économiques. » PSG-Metz a réuni 1,5 million de téléspectateurs. Nul doute que la rencontre France-Brésil en aurait attiré deux à trois fois plus s’il était passé sur une chaîne que tous les Français reçoivent.
Alors la complainte revient chaque hiver, à chaque compétition internationale, dans la bouche de nombreux passionnés de ce sport : l’équipe de France de handball est confisquée par les chaînes payantes – Canal + hier, BeIN Sports aujourd’hui. « Dire qu’il faudrait que tous les matchs soient en gratuit, c’est facile, grince Thierry Braillard, secrétaire d’Etat aux sports. La réalité est beaucoup plus complexe. » La réalité est que la Fédération française de handball (FFHB) et l’Etat sont actuellement impuissants face à BeIN, et que les chaînes de télévision en clair qui pourraient le concurrencer ne le veulent pas.
Le championnat du monde de handball est organisé par la Fédération internationale (IHF), qui en commercialise les droits de diffusion. Ceux du Mondial 2017 ont été acquis au niveau planétaire par BeIN Media Group contre 80 millions d’euros – dans un lot comprenant aussi le Mondial 2015, et les Mondiaux féminins 2015 et 2017 –, un prix contre lequel les grandes chaînes hertziennes françaises refusent de lutter.
« C’est la nouveauté, depuis quatre ou cinq ans, avec l’arrivée sur le marché de groupes comme BeIN ou Discovery, qui sont des diffuseurs, explique Sven Lescuyer, directeur délégué du service des sports de France Télévisions. Vous avez des acteurs, parce qu’ils sont présents un peu partout, qui sont capables d’acheter les droits pour le monde entier. Ce que des acteurs comme TF1, M6 ou France Télévisions ne peuvent pas faire. »
Chaînes généralistes
Tout le monde n’est pas d’accord : « Les gens qui se plaignent pourraient aussi s’en prendre à ceux qui sont susceptibles d’acquérir les droits, qui sont des chaînes de grande audience, et qui ne le font pas, assure Claude Onesta. Ces chaînes font des choix. Quand France Télévisions achète les droits des Jeux olympiques, ils font un choix. Les JO, ça doit coûter bien plus cher que les droits des championnats du monde de handball. En ne voulant pas acquérir les droits, elles ne permettent pas au plus grand nombre de regarder le truc. »
« Des chaînes comme les nôtres, TF1 ou M6 n’ont pas vocation à acheter un championnat complet, argumente Sven Lescuyer. Nous sommes des chaînes généralistes. » France Télévisions diffuse pourtant l’intégralité du Tour de France et Roland-Garros, par exemple, en échange de sommes à peu près équivalentes au prix d’un championnat du monde de handball. « Ces grands médias, regrette le directeur technique de la FFHB, Philippe Bana, se concentrent sur la cerise sur le gâteau. Personne ne veut tout le gâteau. »
La cerise sur le gâteau, c’est la finale du championnat du monde si les Bleus y participent. Elle figure sur une liste, établie par un décret de 2004, de 21 « événements d’importance majeure » (EIM), qui doivent pouvoir être vus sur une chaîne en clair par le grand public (JO, Coupe du monde de football, Roland-Garros, Tour de France, etc.). Seule la finale est un « EIM » – un récent rapport du sénateur David Assouline sur le sport à la télévision en France préconise d’élargir ce statut à tous les matchs à élimination directe.
Ainsi, BeIN acquiert le gâteau pour toute la planète, revend ensuite ses droits dans les pays où il n’est pas présent, et les exploite lui-même dans les pays où il est présent, comme c’est le cas dans l’Hexagone, où il a obligation, en raison du fameux décret de 2004, de partager la finale si les Bleus y parviennent. Comme en 2015, c’est TF1 qui diffusera l’éventuelle finale de l’équipe de France cette année, puisque la chaîne a remporté l’appel d’offres lancé par BeIN.
Dernières rencontres en clair
Nouveauté cette fois-ci : le groupe qatari, qui n’y était pas obligé, a aussi cédé les droits des quart et demi-finale de l’équipe de France (j’ai laissé au singulier car la France ne participe qu’à un quart et une demi-finale non?), que TF1 (ou sa filiale TMC) et BeIN Sports co-diffuseront, le cas échéant. Un élan de générosité dû à l’insistance de la Fédération française.
« On a essayé de porter l’idée que l’ensemble des matchs de l’équipe de France auraient pu être vendus à quelqu’un qui pouvait les diffuser en clair, raconte Claude Onesta. On a fait tout ce que l’on pouvait pour que BeIN accepte de rétrocéder une partie des droits ». « Cette démarche a abouti à une conclusion qui améliore le système, puisqu’outre la finale, il y aura le quart et la demie, mais moins avantageuse que ce qu’on espérait », reconnaît-il.
« Voilà, on est dans un environnement commercial qui fait que celui qui a les droits vend ce qu’il veut. BeIN est une chaîne payante, l’acquisition des droits doit lui permettre de faire venir un nombre d’abonnés conséquent. Aujourd’hui, malheureusement, la plupart des spectacles sportifs sont devenus des spectacles payants. »
Le cas allemand
Et encore, les Français ne sont pas les plus à plaindre. En Allemagne, berceau du handball où BeIN n’existe pas, le groupe n’a pu trouver d’accord avec la télévision publique, qui est disponible de manière non encryptée sur satellite, et se trouve donc disponible gratuitement sur des territoires, y compris au Moyen-Orient, où BeIN propose des offres payantes. Pas d’accord non plus avec les chaînes payantes, qui ont estimé que les droits étaient trop chers.
Résultat, dans ce pays où le hand a toujours été diffusé sur la télévision publique et obtient des audiences faramineuses, seul un sponsor de la Fédération allemande, la banque DKB, a payé pour avoir le droit de diffuser le tournoi en streaming sur son site internet. L’audience se compte en centaines de milliers. « Cette espèce de dérive, c’est assez hallucinant, conclut Daniel Costantini. Les Qataris ont mis la main sur le hand de haut niveau depuis quelque temps, sans partage ». Pour le bien du handball ?