TV : « Bachar, moi ou le chaos », portrait d’un tueur en costume cravate
TV : « Bachar, moi ou le chaos », portrait d’un tueur en costume cravate
Par Christophe Ayad
Notre choix du soir. Antoine Vitkine tente de percer le mystère d’un homme qui n’avait pas vocation à accéder au pouvoir et s’attache à le conserver sans état d’âme (sur France 3 à 22 h 30).
Bachar moi ou le chaos - vidéo Dailymotion
Durée : 00:41
Mais qui donc est Bachar Al-Assad ? La marionnette d’un pouvoir occulte, un dictateur plus sanguinaire encore que son père Hafez ou un réformateur trop naïf dépassé par les événements ? Antoine Vitkine consacre un long documentaire à ce « dictateur impénétrable à l’allure de cadre supérieur » qui est au carrefour de presque toutes nos hantises du moment : la crise des migrants, le terrorisme djihadiste, les convulsions d’un Proche-Orient en pleine recomposition et nos relations avec Vladimir Poutine. Bachar Al-Assad est un miroir odieux de l’Occident : un tueur en costume cravate, qui maîtrise tous les codes de la communication moderne mais applique un mode de gouvernement hérité d’un autre âge.
La toute première scène du film, tournée par une équipe française en 2009 et montrée ici pour la première fois, résume bien le personnage. On l’y voit se rendre en voiture à l’opéra de Damas avec sa « glamoureuse » épouse Asma. Il conduit lui-même sa Mercedes gris métallisé, à l’instar du quidam qu’il aurait sans doute aimé rester. Tout sonne faux et pourtant tout est vrai, comme dans une émission de télé-réalité. Asma dit à son mari : « Mets ta ceinture de sécurité, sinon tu pourrais te faire arrêter par la police ! » Il rit d’une voix de fausset, avant d’expliquer avec le léger zézaiement qui lui est caractéristique qu’il se déplace sans escorte, parce que son pays est sûr. Bachar, dictateur ingénu.
Duplicité permanente
Là est tout le paradoxe de cet ophtalmologue de formation, propulsé au rang de prince héritier par la mort de son frère aîné, Bassel, dans un accident de voiture il y a exactement vingt-trois ans. Autant Bassel incarnait jusqu’à la caricature le « chef » arabe, viril et autoritaire, autant Bachar se veut différent. Il voudrait qu’on l’aime, d’où son extrême prévenance envers ses hôtes et son souci permanent de l’image et de la communication, sa difficulté à dire non. D’où, aussi, cette duplicité permanente que dissèque l’homme d’affaires Firas Tlass, un ancien intime passé à l’opposition.
Cette civilité, chez Bachar, se double d’une peur permanente de ne pas être à la hauteur. Stephen Hadley, ancien conseiller à la sécurité de la Maison Blanche, le résume d’une phrase : « Bachar n’a de cesse de prouver qu’il est à la hauteur de son père. » Pour le plus grand malheur des Syriens, il a largement dépassé son père en termes de bilan macabre. Comme le dit en substance Bouthaïna Chaabane, la conseillère média du chef de l’Etat : « Vous pensez que Bachar est comme vous parce qu’il porte un costume et une cravate, mais détrompez-vous, il est syrien, comme nous. » Un hommage particulièrement maladroit.
Bachar Al-Assad en mai 2015 en visite dans une école de Damas | - / AFP
C’est moins le cas en matière de diplomatie. Certes, Bachar Al-Assad, dans la plus pure tradition familiale, a réussi à transformer la contestation intérieure de 2011 en un problème international, comme le faisait déjà son père au Liban, en imposant l’idée que sans lui, le chaos s’imposerait en Syrie – ce qui est déjà le cas en fait. Mais, là où le père Hafez veillait toujours à garder la haute main sur ses alliés, le fils Bachar est complètement à leur merci, au point que Vladimir Poutine a imposé au régime des discussions en face-à-face avec l’opposition armée, lors des négociations d’Astana qui doivent s’ouvrir lundi 23 janvier. Avec l’Iran et le Hezbollah libanais, le rapport de force s’est également inversé : c’est Bachar Al-Assad qui est l’instrument de leur politique et non le contraire. Comme le résume bien l’historien Henry Laurens, Hafez Al-Assad avait réussi à transformer la Syrie moderne d’enjeu en acteur du Proche-Orient. Bachar a fait le trajet inverse.
Bachar, moi ou le chaos, d’Antoine Vitkine (Fr., 2016, 80 min).