A la découverte d’une mystérieuse barrière de corail au large de l’Amazone
A la découverte d’une mystérieuse barrière de corail au large de l’Amazone
Par Rémi Barroux (Macapa (Brésil), envoyé spécial)
Une mission de Greenpeace doit permettre une plongée sous-marine pour observer un massif corallien de 9 500 km² découvert par des scientifiques brésiliens. Notre journaliste, embarqué à bord, relate l’expédition. Voici le premier épisode.
Le navire amiral de la flotte de Greenpeace, l'« Esperanza », dans le port de Santana, près de Macapa, au Brésil, la veille de son départ pour une mission de documentation sur un nouveau massif corallien, le 23 janvier. | Photo : R.Bx.
Lentement, l’Esperanza s’éloigne du quai et trace son sillage dans les eaux brunâtres de l’Amazone. Il est 10 h 30, mardi 24 janvier, et le navire amiral de la flotte de Greenpeace, le plus imposant avec ses 72 m de long, quitte le port de Santana, à une vingtaine de kilomètres de Macapa, la capitale de l’Etat d’Amapa (nord du Brésil), pour partir à la découverte d’un massif corallien au large des côtes brésiliennes.
C’est la première fois qu’une plongée sous-marine va observer de près ce mystérieux récif géant qui s’étend sur 9 500 km², au large des Etats du Maranhão, du Para et d’Amapa, jusqu’à la frontière avec la Guyane française. L’étudier, le montrer au grand public, informer sur la richesse incomparable en biodiversité et l’importance du rôle des coraux, les défendre aussi contre des projets d’exploitation pétrolière offshore, telle est la mission que l’ONG internationale Greenpeace, sous la direction de son organisation brésilienne, entend mener durant trois semaines en plein océan Atlantique, à partir du 24 janvier.
Le 21 avril 2016, dans un article de la revue Science, une quarantaine de chercheurs brésiliens révélaient l’existence du récif. Depuis 2014, les scientifiques avaient travaillé sur cette découverte surprenante à cet endroit, au large de l’embouchure de l’Amazone. « Les eaux du Rio Amazonas sont très riches en sédiments qui empêchent la lumière de passer et les coraux ont besoin de cette lumière pour la photosynthèse, c’est donc totalement contradictoire », explique Fabiano Thompson, l’un des scientifiques qui a révélé l’existence du massif corallien et qui accompagne l’expédition de Greenpeace.
Dans le port de Santana, le 23 janvier, sur le bateau « Esperanza », Greenpeace lance sa nouvelle campagne de défense des coraux au large de l'Amazonie : à peine découvert, le massif est menacé par des projets pétroliers. | Photo : R. Bx.
Poissons typiques des massifs coralliens
Dès le milieu des années 1970, un navire de recherche scientifique américain avait remarqué la présence de poissons typiques des écosystèmes coralliens, dans cette zone. De même qu’une étonnante abondance d’éponges.
Mais l’information n’avait pas ébranlé les autorités brésiliennes, alors en pleine dictature militaire. Il faudra attendre les années 2010 pour que les chercheurs s’intéressent à nouveau à ces présences incongrues. En 2012, avec l’aide d’un bateau américain, la réalité du massif corallien est confirmée. « Puis, en 2014, sur un navire de la marine brésilienne, nous pouvons faire des prélèvements pour étudier ces coraux », raconte Fabiano Thompson. Au total, 900 kg d’éponges d’une trentaine d’espèces différentes sont remontées par dragage. Mais, jusqu’à ce mois de janvier 2017, aucune plongée n’a encore été effectuée.
Les scientifiques comme les militants de Greenpeace, tous ignorent ce que l’on pourra observer à une centaine de mètres de profondeur. La puissance du fleuve Amazone, avec son débit de quelque 300 000 m3 par seconde, emporte son eau trouble et ses sédiments à des dizaines, voire des centaines de kilomètres des côtes. Le massif se trouve à plus d’une centaine de kilomètres des côtes brésiliennes.
L’Esperanza compte une vingtaine de membres de l’équipage – venu des quatre coins du globe, Ukraine, Corée du Sud, Australie, Canada, France, Inde, Argentine… – et une vingtaine d’autres personnes, parmi lesquelles le personnel chargé de l’entretien et du pilotage des sous-marins de poche embarqués sur le navire, les militants chargés de la communication et de la prise d’images (la mission doit servir à lancer une campagne internationale de défense de ce récif de l’Amazone) et les responsables de l’organisation brésilienne.
Union contre les projets pétroliers
La veille du départ, les derniers préparatifs occupent tout autant que les réunions qui s’enchaînent. Tous les participants à cette mission d’information sont briefés. « Attention, il ne s’agit pas d’une expédition scientifique, nous ne ferons aucun prélèvement, aucune analyse de la salinité de l’eau par exemple, juste un travail de documentation », insiste Ricardo Baitelo, responsable du projet et chargé de la campagne énergie à Greenpeace Brésil.
L’administration brésilienne est de plus en plus tatillonne et rien ne doit l’indisposer. « Nous n’avons pas besoin d’autorisation, mais si la marine décide de nous contrôler, elle le fera, il faut être prêt. Ils savent très bien qui est sur le bateau et où nous allons », ajoute le responsable brésilien, qui précise avoir notamment une lettre du ministre de l’environnement se disant informé des intentions de l’organisation.
En fin d’après-midi, lundi, plusieurs dizaines de personnes montent à bord de l’Esperanza pour une réunion d’information : responsables d’organisations environnementales (dont WWF, le Fonds mondial pour la nature), populations locales, journalistes locaux et même un des sénateurs de l’Etat d’Amapa, Randolfe Rodrigues. Tous proclament leur intention de défendre ce nouveau patrimoine contre les projets pétroliers.
Sur l'Esperanza, navire amiral de Greenpeace, la préparation du sous-marin de poche s'accélère, le 23 janvier, veille du départ de la mission d'observation d'un nouveau récif corallien au large de l'Amazone, dans les eaux brésiliennes. | Photo : R. Bx.
Ultime réunion, dans la soirée, pour préciser à la quarantaine de personnes embarquées les règles d’une vie commune à bord : limiter le bruit, économiser l’eau même si l’Esperanza est dotée d’un système de désalinisation, participer au nettoyage, ne pas gêner les nombreuses manœuvres, notamment celles des sous-marins modèles réduits, etc. « Nous sommes en train d’écrire une nouvelle histoire, nous connaissons seulement à peine 5 % de cette barrière de corail, s’enthousiasme Fabiano Thompson, océanographe et professeur de biologie marine à l’université fédérale de Rio de Janeiro. Et je veux aider mon pays à mieux connaître ses richesses naturelles. »