Combien de réfugiés a tué l’armée nigériane dans sa « regrettable erreur opérationnelle » ?
Combien de réfugiés a tué l’armée nigériane dans sa « regrettable erreur opérationnelle » ?
Par Joris Bolomey
Une semaine après le bombardement par un avion nigérian d’un camp à Rann, dans le nord-est du Nigeria, le bilan des victimes varie de 90 à 236 morts.
Des dizaines d’innocents ont été tués par ceux qui devaient les protéger. La matinée du 17 janvier, un avion de chasse de l’armée nigériane a pris pour cible, par erreur, un camp de réfugiés à Rann, au nord-est du Nigeria, à quelques kilomètres de la frontière camerounaise. Là, plus de 25 000 civils avaient cherché refuge face aux violences des islamistes du groupe Boko Haram. Au moment où l’avion, sans doute un Alpha Jet des constructeurs franco-allemands Dassault-Dornier aux couleurs de l’armée nigériane, est apparu dans le ciel, les travailleurs humanitaires du Comité international de la Croix Rouge (CICR) et de Médecins Sans Frontières (MSF) distribuaient de la nourriture dans le camp. Le président nigérian Muhammadu Buhari a rapidement reconnu une « regrettable erreur opérationnelle ». Mais combien sont-ils à avoir perdu la vie ?
Le bilan grimpe jusqu’à 236 tués
Un premier bilan de MSF, le soir du 17 janvier, fait état de plus de 120 blessés et de 52 morts dont 6 volontaires nigérians du CICR. Dès le lendemain matin, mercredi, l’estimation, cette fois du CICR, passe à 70 morts. Le communiqué daté de Genève précisait que d’avantage de victimes étaient attendues.
Et cela ne manque pas. Jeudi 19, un nouveau communiqué de MSF annonce 90 morts. Un bilan vérifié sur place par ses employés, mais que l’ONG ne donnait qu’à titre provisoire. A ce moment déjà, plusieurs « rapports concordants » émanant de résidents et de dirigeants des communautés locales font état de 170 tués, selon le directeur général de MSF Suisse, Bruno Jochum. « Ce chiffre doit être confirmé, ajoute-t-il. Les victimes de cet épouvantable événement méritent que la lumière soit faite sur ce qui s’est passé et sur les circonstances dans lesquelles cette attaque a eu lieu ».
Or l’estimation continue de grimper, jusqu’à 236 victimes dimanche 22 janvier. « D’après ce que les gens qui ont enterré les victimes mortes de leurs propres mains m’ont dit (…) ils ont enterré 234 morts. Plus tard, j’ai été informé que deux des blessés évacués à Maiduguri étaient décédés », a affirmé à l’AFP Babagana Malarima, président du gouvernement local de Kala-Balge.
Un chiffre confirmé sur la télévision nigériane Channels par le principal porte-parole du président Buhari, Garba Shehu, mais sur lequel revient ensuite Babagana Malarima, selon la BBC. Le responsable local reconnaît s’être trompé et avoir additionné, pour arriver à ce chiffre de 236, les morts et les blessés. Le mardi 24 janvier, il ne parle plus que de 115 victimes tuées par le bombardement.
L’armée mène sa propre enquête
Face à ce qu’elle qualifie de « spéculations », l’armée de l’air nigériane, dans un communiqué publié le 24 janvier en fin de journée sur son compte Instagram, appelle les Nigérians à « ne pas commenter ce regrettable accident » et précise qu’elle établira elle-même le bilan de son erreur. De leur côté, ni MSF, ni le CICR, ne veulent à ce stade s’exprimer sur un bilan plus précis. L’atmosphère est lourde : le 19 janvier, l’éditeur du média d’investigation nigérian Premium Times ainsi qu’un journaliste ont été arrêtés à Abuja suite à une accusation de « diffamation » par le chef d’état-major, Tukur Buratai. Le même jour, l’armée de l’air a annoncé avoir mis en place un comité d’enquête pour déterminer les circonstances du bombardement accidentel de Rann. Une liste de 20 témoins a été établie et le comité, composé de hauts responsables militaires, devra présenter son rapport au plus tard le 2 février, a indiqué un communiqué.
Les violences de Boko Haram et leur répression ont fait au moins 20 000 morts et plus de 2,6 millions de déplacés dans le nord-est du Nigeria et la région du lac Tchad depuis 2009. Les autorités affirment que le conflit est entré dans sa phase finale. Le 24 décembre 2016, l’armée nigériane a affirmé avoir reconquis la forêt de Sambissa, fief de la secte. Le général Léo Irabor, en charge des opérations contre Boko Haram, pouvait alors clamer : « Nous avons gagné la guerre, il est temps de gagner la paix ». Au soir du bombardement de Rann, un convoi de terroristes de Boko Haram, profitant du chaos, menait un nouveau raid sur la ville, sans succès il est vrai.