Construction du mur : les Mexicains se sentent humiliés avant d’avoir négocié
Construction du mur : les Mexicains se sentent humiliés avant d’avoir négocié
Par Frédéric Saliba (Mexico, correspondance)
Donald Trump a décrété mercredi la construction du mur à la frontière américano mexicaine. La visite du président mexicain à Washington le 31 janvier est remise en cause.
Une piñata représentant le président américain, Donald Trump, devant l’ambassade des Etats-Unis à Mexico, le 20 janvier. | YURI CORTEZ/AFP
Le gouvernement mexicain a été pris de court, mercredi 25 janvier, par le décret lançant le projet de construction d’un mur frontalier entre les Etats-Unis et le Mexique, signé par le président américain Donald Trump. Le même jour, le ministre mexicain des relations extérieures, Luis Videgaray, débutait à Washington une visite préparatoire à la rencontre, prévue le 31 janvier, entre M. Trump et son homologue, Enrique Peña Nieto. Ce décret, vécu comme une humiliation au Mexique, dynamite la négociation difficile qui s’engage entre les deux voisins.
« Le Mexique ne croit pas aux murs (…) qui nous divisent », a réagi, mercredi soir, M. Peña Nieto, remettant à plus tard sa décision de se rendre ou pas à Washington le 31. Lundi 23 janvier, il avait appelé à négocier sans « confrontation, ni soumission » avec le nouveau locataire de la Maison Blanche, dans l’espoir de modérer son programme protectionniste et anti-Mexicains. Mais les deux décrets signés mercredi par M. Trump, l’un sur le mur, l’autre sur une application plus rigoureuse des lois sur l’immigration illégale, réduisent la marge de manœuvre du gouvernement mexicain.
Envoyés en éclaireurs, M. Videgaray et le ministre de l’économie, Ildefonso Guajardo, ont entamé, mercredi, une visite de deux jours à Washington pour préparer la renégociation, voulue par M. Trump, de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada. « Le Mexique offre et exige le respect comme nation souveraine », a souligné, mercredi, M. Peña Nieto. La veille, M. Videgaray, avait évoqué la possibilité que « le Mexique sorte de l’Alena » même si cette « option a un coût élevé pour le pays ».
Dépendant économiquement des Etats-Unis, qui représentent 80 % de ses exportations, le Mexique est aussi menacé par les mesures d’expulsion des clandestins, annoncées par M. Trump. L’économie mexicaine ne pourrait pas absorber un retour massif de sans-papiers alors que 12 millions de Mexicains vivent de l’autre côté de la frontière avec les Etats-Unis, dont 5,7 millions sont illégaux.
D’autant que, mercredi, sur la chaîne télévisée ABC, M. Trump a souligné que le mur serait payé à terme par le Mexique. Durant sa campagne, il avait évoqué la possibilité de taxer les envois de fonds des immigrés mexicains pour contraindre le Mexique à financer sa construction. Ces sommes (25 milliards de dollars en 2016) font vivre des millions de familles dans un pays où la moitié de la population est pauvre.
« Déclaration trop timide »
« Le Mexique ne paiera aucun mur », a rappelé, mercredi, M. Peña Nieto. Le président a aussi annoncé la « mobilisation des 50 consulats mexicains sur le sol américain (…) qui se convertiront en défenseurs des droits des émigrés », renforçant notamment leurs services d’assistance juridique.
« Cette déclaration est trop timide alors que les décrets signés par M. Trump, le jour de la venue de M. Vidagaray et M. Guajardo à Washington, représentent une gifle assénée à M. Peña Nieto, commente Adolfo Laborde, spécialiste des relations internationales à l’Université nationale autonome de Mexico. C’est une deuxième humiliation pour les Mexicains, après la visite polémique, le 31 août, de M. Trump à Mexico, à l’invitation de M. Peña Nieto. »
Ce jour-là, le candidat républicain avait ensuite annoncé lors d’un meeting à Phoenix (Arizona) : « Ils ne le savent pas encore mais ils paieront le mur à 100 %. » La crise politique avait contraint M. Peña Nieto à limoger l’organisateur de la rencontre qui n’était autre que M. Videgaray, alors ministre du budget. Rappelé, le 4 janvier, à la tête de la chancellerie, ce dernier est chargé de convaincre M. Trump de l’importance des échanges entre les deux pays qui génèrent un million de dollars par minute et dont dépendent six millions d’emplois aux Etats-Unis. Pour y parvenir, M. Videgaray mise sur ses liens privilégiés avec Jared Kushner, gendre et principal conseiller du nouveau président.
« Le mur de Trump, une offense au Mexique »
Mercredi, cette stratégie a provoqué une vague d’indignation au sein de l’opposition, qui a appelé le président à annuler sa prochaine rencontre avec le nouveau président américain. « Le mur de Trump est une offense au Mexique qui remet en cause la visite », a écrit sur son compte Twitter Margarita Zavala, épouse de l’ancien président Felipe Calderon (2006-2012) et candidate pressentie du Parti d’action nationale (PAN, droite) à l’élection présidentielle de 2018.
Dans la foulée, Agustin Barrios, fondateur d’un prestigieux think tank, le Conseil mexicain des affaires internationales, s’est joint à cette pétition en précisant qu’« aucune négociation ne peut être engagée dans un contexte de chantage ». Et Andres Manuel Lopez Obrador, dirigeant du Mouvement de régénération nationale (Morena, gauche), candidat à la prochaine présidentielle, d’enfoncer le clou : « Le gouvernement mexicain doit déposer une plainte auprès des Nations unies contre le gouvernement américain pour violation des droits de l’homme et discrimination raciale. »
Mercredi soir, M. Peña Nieto a annoncé qu’« une décision » serait bientôt prise « sur les prochains pas à suivre », soulignant néanmoins sa « volonté d’aboutir à des accords en faveur du Mexique et des Mexicains ». Dans un pays où son manque de fermeté envers le puissant voisin du Nord est critiqué, cette stratégie de conciliation provoquera-t-elle une crise politique intérieure ?