L’Europe se divise sur la culture de trois OGM
L’Europe se divise sur la culture de trois OGM
Par Audrey Garric
La Commission européenne n’est pas parvenue à faire autoriser de nouveaux maïs transgéniques, faute d’entente entre les Etats membres. L’Union reste dans l’impasse sur ce dossier controversé.
Des militants de Greenpeace et des anti-OGM déracinent des plants transgéniques dans un champ de Haute-Garonne, en 2014. | PASCAL PAVANI / AFP
C’est une nouvelle preuve de l’incapacité de l’Union européenne à gérer le sujet controversé des organismes génétiquement modifiés (OGM), un thème sur lequel le Vieux Continent a toujours été particulièrement frileux. Vendredi 27 janvier, les Etats membres se sont prononcés, par la voix de leurs représentants, sur deux votes cruciaux : le renouvellement du permis du maïs MON810 de Monsanto, seule plante transgénique aujourd’hui cultivée sur le sol européen, et l’autorisation à la culture de deux nouveaux maïs génétiquement modifiés, le TC1507 de DuPont Pioneer et le Bt11 de Syngenta. Les gouvernements ne sont finalement pas parvenus à s’entendre, et ce, malgré l’entrée en vigueur d’une nouvelle législation censée mettre fin à des années de blocage et de manœuvres en coulisses.
Pour être autorisés ou au contraire définitivement rejetés, les nouveaux OGM nécessitaient une majorité qualifiée, c’est-à-dire le vote de 55 % des Etats membres représentant 65 % de la population. Or, 12 Etats se sont opposés au MON810 tandis que 10 lui ont été favorables (et 6 abstentions) ; 13 pays ont voté contre les deux nouveaux maïs et 8 pour (avec 7 abstentions). La France, devenue le fer de lance de la lutte contre les plantes transgéniques, s’est prononcée contre, de même que l’Autriche, la Hongrie ou la Pologne. A l’inverse, l’Espagne, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas comptent dans les rangs des pro-OGM.
Un deuxième vote devra être organisé au printemps, lors d’un comité d’appel. En cas de nouvel échec pour dégager une majorité qualifiée, la balle sera dans le camp de la Commission, qui soutient la culture de ces trois OGM. Le Parlement européen, lui, l’avait refusée en octobre 2016 et avait même appelé, en décembre 2015, à un moratoire sur toutes les autorisations d’importations d’OGM.
« Tourner la page des OGM »
« Le vote d’aujourd’hui est un signal clair que l’Europe n’a toujours pas d’appétit pour les cultures génétiquement modifiées, estime Franziska Achterberg, chargée des questions alimentaires à Greenpeace Europe, dans un communiqué. Etant donné l’opposition généralisée aux cultures génétiquement modifiées parmi les citoyens et les parlementaires de l’UE, la Commission serait aveugle de l’interpréter comme un feu vert. L’Europe devrait tourner la page des OGM une fois pour toutes et concentrer ses efforts vers le passage urgent à une agriculture écologiquement rationnelle. »
Même son de cloche du côté des Amis de la Terre Europe. « La Commission européenne ne parvient pas à obtenir de soutien politique pour la culture d’OGM depuis 1998 quand l’industrie des biotechnologies a commencé à promouvoir ses semences, relève Mute Schimpf, chargée de campagne alimentation. Le président Juncker a promis de rendre les décisions plus démocratiques, il est donc temps pour la Commission de rejeter les cultures OGM une bonne fois pour toutes. »
Avec ce vote, la Commission européenne espérait pourtant sortir de l’impasse. Elle est en effet à l’origine d’une nouvelle directive, entrée en vigueur en avril 2015, qui permet aux Etats membres de demander l’interdiction de la culture d’OGM sur leur territoire pour des motifs de politique agricole, d’aménagement du territoire ou des conséquences socio-économiques. Dix-sept pays de l’Union les ont bannis de la sorte ainsi que quatre « régions » (Ecosse, Pays de Galles, Irlande du Nord et Wallonie). En contrepartie de cette liberté, Bruxelles espérait empêcher les blocages au niveau communautaire et ainsi accélérer la mise en culture de semences transgéniques sur le sol européen. Une sorte de donnant-donnant.
Un seul OGM cultivé en Europe
Car aujourd’hui, le MON810, maïs vedette du géant Monsanto, est le seul OGM cultivé en Europe pour l’alimentation humaine et animale – depuis 1998. Avec 136 000 hectares plantés, il représente toutefois moins de 1 % du maïs produit par l’Union, un chiffre qui ne cesse de baisser année après année. La quasi totalité est issue d’Espagne (129 300 hectares), devant le Portugal (7 100 ha), puis, de manière infinitésimale, la Slovaquie et la République tchèque (respectivement 112 et 75 ha), selon les chiffres de l’association Inf’OGM.
Depuis, toutes les tentatives d’introduire d’autres semences génétiquement modifiées pour la culture ont échoué face à l’opposition des Etats. L’Europe avait seulement donné son feu vert, en 2010, à la pomme de terre transgénique Amflora, mais son producteur allemand, BASF, en a stoppé le développement en 2012.
La Commission a donc remis sur la table deux dossiers, qui attendent depuis des années. Tout d’abord, le maïs TC1507 – rendu tolérant à une famille d’herbicides et à un insecticide –, pour lequel Pioneer (filiale de DuPont de Nemours) a déposé une demande d’autorisation en 2001. En 2013, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, dans un arrêt, que la Commission avait été trop lente dans la gestion de la demande d’autorisation et lui a enjoint de poursuivre la procédure. Ensuite, le maïs BT11, produit par Syngenta, attend, lui, depuis… 1996.
Les OGM restent malgré tout présents en Europe par le biais des importations. Au total, une quarantaine d’entre eux sont autorisés à la mise sur le marché, selon Inf’OGM : du maïs, du coton, de la betterave, de la pomme de terre et surtout du soja. L’Union européenne est ainsi l’un des grands acheteurs mondiaux de céréales génétiquement modifiées : elle importe chaque année plus de 40 millions de tonnes de soja transgénique pour alimenter son bétail, dont 4 millions de tonnes pour la France.