Le ministre polonais des affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a annoncé que son gouvernement travaille sur une « nouvelle formule » de Bielsat. | EMMANUEL DUNAND / AFP

A l’heure où la Russie accroît sa présence médiatique en Europe et aux Etats-Unis, la télévision Bielsat, seule chaîne d’information biélorusse indépendante, est en première ligne de la guerre de l’information entre le Kremlin et les démocraties occidentales. Informer les citoyens de la « dernière dictature d’Europe », pays où les intérêts russes sont omniprésents, n’est pas une mince affaire. Surtout avec un budget annuel d’à peine 6 millions d’euros, lorsque des organes d’influence comme Russia Today ou Sputnik sont soutenus à hauteur 280 millions d’euros par an par le Kremlin.

La chaîne Bielsat est financée intégralement par le gouvernement polonais et émet par satellite depuis Varsovie, depuis sa création en 2008. Mais le sort de la rédaction et de ses 200 collaborateurs est incertain. En décembre 2016, le ministère des affaires étrangères polonais a annoncé, à la stupéfaction générale, qu’il prévoyait de couper drastiquement les subventions à la chaîne, signifiant de facto sa disparition. Car le gouvernement ultraconservateur en place à Varsovie semble miser sur un réchauffement des relations avec l’homme fort de Minsk, Alexandre Loukachenko.

Une « nouvelle formule » à l’étude

Face à une importante levée de boucliers de la part des intellectuels biélorusses, de l’opposition polonaise, mais aussi au sein de son propre camp, le gouvernement a fait machine arrière. Début janvier, la première ministre Beata Szydlo a assuré que le financement de la chaîne « n’était pas menacé. » Le ministre polonais des affaires étrangères, Witold Waszczykowski, a, lui, annoncé que le gouvernement travaille sur une « nouvelle formule » de Bielsat.

Mais ces changements à venir inquiètent les journalistes. « L’équilibre du travail de la chaîne est précaire. Même une légère coupe dans notre budget déstabiliserait considérablement la rédaction », explique sa directrice, Agnieszka Romaszewska.

Bielsat reste une télévision unique en son genre : les journalistes travaillant en Biélorussie exercent leur métier dans la clandestinité la plus totale. Une part conséquente du budget de chaîne finit en frais de justice. Malgré ces conditions difficiles, les journalistes produisent trois heures d’information quotidienne. La télévision est aussi la seule du pays à émettre exclusivement en langue biélorusse, qui a longtemps été menacée par la politique de russification du pouvoir.

« Notre présence arrange Loukachenko »

« Cette décision serait d’autant plus incompréhensible que l’on observe depuis un certain temps une légère amélioration de nos conditions de travail, confie Aleksy Dzikawicki, le directeur de l’information et des programmes. M. Loukachenko a peur d’une répétition du scénario ukrainien en Biélorussie, et après des années de politique très prorusse, il amorce un virage plus patriotique, visant à renforcer le sentiment d’identité nationale. De ce point de vue, notre présence l’arrange. Nous sommes aussi les seuls à pouvoir critiquer ouvertement la Russie, ce que lui ne peut pas se permettre. »

Les détracteurs de la chaîne mettent en avant une audience marginale et une faible qualité de programmes. « Nous faisons ce que nous pouvons, avec le budget qui nous est imparti, souligne le rédacteur en chef, Ales Karnijenka. Nous avons un impact significatif, particulièrement en province, où seul le satellite est accessible ; 90 % des Biélorusses s’informent exclusivement par la télévision et toutes les autres chaînes biélorusses sont détenues par l’Etat. »

« Nous luttons activement contre la propagande russe, en particulier sur Internet », Jakub Biernat, rédacteur.

Les journalistes disent avoir « d’excellents retours » de la part de leurs téléspectateurs. « Nous luttons activement contre la propagande russe, en particulier sur Internet, et nous sommes convaincus que notre travail est nécessaire », souligne Jakub Biernat, à la rédaction Web. Le site de Bielsat a d’ailleurs développé une stratégie d’information en langue russe, pour avoir une influence sur l’ensemble des anciennes républiques soviétiques.

Au moment où les institutions européennes prennent conscience de la nécessité de lutter activement contre la politique de désinformation du Kremlin, la pérennité de Bielsat paraît vitale.