Aux Philippines, une pause dans la sanglante « guerre contre la drogue »
Aux Philippines, une pause dans la sanglante « guerre contre la drogue »
Par Harold Thibault
Le président Rodrigo Duterte, qui a toujours encouragé les exécutions extrajudiciaires pour lutter contre le narcotrafic, critique à présent la « corruption » de la police.
Le président philippin, Rodrigo Duterte, avec son chef de la police, Ronald dela Rosa, lors d’une conférence de presse à Manille, le 30 janvier 2017. | NOEL CELIS / AFP
Discréditée par ses dérives, la police des Philippines a dû mettre en pause sa sanglante « guerre contre la drogue », lancée sept mois plus tôt. La direction de la police a été contrainte de reconnaître que certains agents, sous couvert de descentes contre le narcotrafic, se sont rendu coupables d’extorsions et de meurtres.
Le chef de la police, Ronald dela Rosa, a annoncé, lundi 30 janvier, la dissolution de l’unité de lutte contre les stupéfiants et la suspension des opérations antidrogue, le temps de mener une enquête interne et de déloger les éléments corrompus. « Je ne sais pas combien de temps il faudra pour purifier la PNP [police nationale des Philippines]. Mais avec la coopération de chacun d’entre nous, avec de l’entraide, peut-être est-ce faisable en un mois », a-t-il déclaré.
Les organisations de protection des droits de l’homme avaient dénoncé dès les premiers jours les risques de la campagne de lutte contre la drogue, ordonnée par un nouveau président au passif lourd, Rodrigo Duterte. Maire pendant plus de deux décennies d’une grande ville du sud du pays, Davao, il y mena une politique contre la drogue et la criminalité qui se traduisit par plus d’un millier d’exécutions extrajudiciaires.
Sept mille personnes tuées
En campagne, M. Duterte avait promis d’instaurer les mêmes méthodes au niveau national s’il était élu, et les exécutions sommaires commencèrent à se multiplier dans l’archipel dès les semaines qui précédèrent son installation, le 30 juin, au palais présidentiel à Manille. Plus de 7 000 personnes ont été tuées depuis, dont 2 250 « suspects » abattus dans le cadre d’opérations de police, les autres par de mystérieux assassins de l’ombre.
Le meurtre d’un ressortissant coréen par des officiers véreux a contraint M. Duterte et son chef de la police, Ronald dela Rosa, à reconnaître l’existence d’une dérive au sein de l’institution. Jee Ick-joo avait été emmené le 18 octobre par des agents des stupéfiants qui lui avaient présenté un faux mandat. Deux semaines plus tard, ils exigèrent une rançon de la famille de cet expatrié alors que, de l’aveu même de Ronald dela Rosa, le Sud-Coréen avait été étranglé à mort dès le jour de son enlèvement après avoir été transféré à Camp Crame, siège de la police nationale, dans l’est de la capitale.
Le président Duterte avait assuré aux agents des forces de l’ordre qu’aucun d’entre eux ne serait jamais poursuivi. Il semble désormais découvrir le risque auquel ce blanc-seing a exposé son pays. « Vous, la police, vous êtes les plus corrompus. Vous êtes corrompus jusqu’à l’os. C’est dans votre système, a lancé le président, dimanche. Détenteurs du pouvoir de faire appliquer la loi et d’arrêter des personnes, vous l’utilisez de manière irresponsable parce que vous, peut-être pas tous les policiers, mais environ 40 % d’entre vous, êtes vraiment accoutumés à la corruption. »
Système macabre
Dans un rapport publié mardi, Amnesty International souligne l’incitation à tuer créée sous M. Duterte. L’organisation cite un haut gradé dirigeant des opérations au sein d’une unité contre le trafic de stupéfiants selon qui les policiers sont payés à chaque « confrontation », terme désignant les meurtres maquillés en descentes de police légitimes.
« Nous sommes toujours payés à la confrontation… Le montant varie entre 8 000 pesos [environ 150 euros] et 15 000 pesos [280 euros]… Ce montant se comprend par tête. Donc si l’opération vise quatre personnes, cela fait 32 000 pesos… Nous sommes payés en liquide, en secret, par le quartier général… Il n’y a pas de prime pour les arrestations. On ne reçoit rien du tout », a expliqué ce policier à Amnesty.
L’organisation détaille par ailleurs un système macabre par lequel les entreprises de pompes funèbres versent de l’argent aux agents pour chaque cadavre qu’ils leur envoient. Les policiers s’enrichissent également en volant les maisons des victimes, selon Amnesty.
Human Rights Watch a demandé lundi que les Nations unies ouvrent une enquête sur les exécutions. « Suspendre les opérations antidrogue de la police pourrait réduire le nombre de meurtres, mais ils ne cesseront pas sans une enquête sérieuse sur les 7 000 morts déjà répertoriés, a dénoncé Phelim Kine, directeur adjoint de Human Rights Watch pour l’Asie. La police des Philippines ne va pas sérieusement enquêter sur elle-même, donc les Nations unies devraient prendre la tête de l’enquête. »
Mettant en scène sa remise en cause personnelle, le chef de la police a organisé dimanche une messe au siège de la police. Selon le quotidien The Inquirer, Ronald dela Rosa y a déclaré : « Avant de purifier l’organisation, je dois me purifier moi-même. Faire un examen de conscience, penser à quoi faire et à là où j’ai échoué pour que la PNP devienne comme ça. »
Philippines : le président Rodrigo Duterte affirme avoir tué des criminels pour montrer l’exemple
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