Le président de TransCanada, Russ Girling annonce la création du pipeline Energy East, le 1er août 2013 à Calgary (Alberta). / Todd Korol / REUTERS

L’oléoduc canadien Energie Est devait mesurer 4 600 km de long et acheminer, quotidiennement, 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux de l’Alberta jusqu’au Nouveau-Brunswick, en passant par le Québec et l’Ontario. Jeudi 5 octobre, TransCanada a cependant annoncé la fin de son projet. Par communiqué, le président et chef de la direction de la compagnie pétrolière canadienne, Russ Girling, a expliqué que cette décision faisait suite à une « analyse approfondie des nouvelles exigences » imposées par le régulateur du secteur, l’Office national de l’énergie (ONE).

Cette décision ne surprend guère car elle survient moins d’un mois après que l’entreprise a demandé à l’ONE une suspension temporaire du projet. En effet, en août, l’organisme gouvernemental a durci ses critères d’évaluation : les émissions de gaz à effet de serre (GES) doivent désormais être mesurées en amont et en aval de la chaîne de production. L’ONE exige aussi de donner plus de visibilité à l’évaluation des risques associés aux accidents, comme les fuites de pétrole.

L’abandon de ce futur chantier de 15,7 milliards de dollars canadiens (10,7 milliards d’euros) s’explique également par la chute des cours du pétrole. Alors qu’en 2014, lorsque le projet a été déposé, le baril d’or noir s’échangeait à plus de 100 dollars américains, son prix a baissé de moitié pour atteindre environ 50 dollars américains aujourd’hui.

Enfin, Energie Est a perdu de la valeur depuis que Donald Trump a signé, en janvier, un décret présidentiel visant à relancer l’oléoduc Keystone XL, qui transportera du pétrole des sables bitumineux albertins aux raffineries américaines.

55 milliards de dollars canadiens

Le pétrole acheminé par Energie Est devait être exporté aux Etats-Unis lui aussi, ainsi que vers les marchés européens et l’Inde depuis le port de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick. Brian Gallant, premier ministre de cette province, a d’ailleurs déploré la décision de la compagnie pétrolière canadienne, tout comme son homologue de l’Alberta, Rachel Notley. Tous deux étaient convaincus que le pipeline aurait un impact positif pour l’économie de leurs provinces respectives et pour celle du Canada en général. TransCanada parlait en effet d’une création de 14 000 emplois à temps plein et d’une contribution de 55 milliards de dollars canadiens au PIB national.

De leur côté, les associations environnementalistes se sont félicitées de l’annonce de TransCanada. Pour Greenpeace, il s’agit d’une victoire « pour la protection de l’eau, pour la lutte contre les changements climatiques, pour l’économie, pour les droits des autochtones », a expliqué à Radio Canada Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-énergie et Arctique au sein de l’ONG.

Ottawa, par la voix du ministre des ressources naturelles, Jim Carr, a pour sa part souligné qu’il s’agissait là avant tout d’une « décision d’affaires ». Celui-ci a aussi rappelé que le projet Keystone – également piloté par TransCanada –, pourrait voir bientôt le jour. Mais il a surtout insisté sur le fait que le gouvernement auquel il appartient a déjà approuvé deux autres futurs pipelines (TransMoutain de Kinder Morgan et la Ligne 3 d’Enbridge), qui se traduiront par « des investissements de 11,6 milliards de dollars et des milliers d’emplois ».

De 300 000 à 890 000 barils par jour

L’abandon d’Energie Est par TransCanada vient aussi rappeler que les projets de construction ou d’agrandissement d’oléoducs suscitent de vives polémiques au Canada. Ainsi, en Colombie-Britannique, vient de débuter le procès de la firme Kinder Morgan, dont le gouvernement social-démocrate de la province veut faire annuler le projet TransMountain.

Il lui est reproché ses manquements sur le plan environnemental et dans la consultation des populations autochtones. Les audiences sont prévues jusqu’au 12 octobre devant la Cour d’appel fédérale. Cette dernière pourrait ne rendre sa décision que dans quelques mois, et la bataille risque de se poursuivre jusqu’à la Cour suprême.

En attendant, la firme américaine vient d’engager des travaux préliminaires pour faire passer de 300 000 à 890 000 barils par jour la capacité de son oléoduc. Celui-ci doit acheminer le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta vers la banlieue de Vancouver, pour l’exporter ensuite en Asie. Ce projet avait été autorisé par Justin Trudeau en novembre 2016 au nom de l’intérêt national.

Selon le gouvernement canadien et les pétrolières, une fois agrandi, TransMountain permettra de désenclaver la production d’hydrocarbure de l’Alberta, d’accroître les capacités d’exportation notamment vers les marchés asiatiques afin d’obtenir un meilleur prix pour chaque baril de brut.

Risque de marée noire

De leur côté, les opposants à TransMountain, auquel le gouvernement britanno-colombien a offert son soutien juridique, s’inquiètent de l’augmentation du trafic maritime qu’entraîneraient davantage d’exportations de pétrole vers l’Asie et du risque de marée noire. D’autant qu’une espèce menacée d’orques vit à proximité de la côte de la province. Ils affirment aussi que l’impact de cette future infrastructure sur le changement climatique a été sous-estimé lors de son autorisation, qu’ele ne tient pas entièrement compte de l’augmentation des émissions de GES due à la production d’hydrocarbure tiré des sables bitumineux.

Sur ce chapitre d’ailleurs, le Canada s’est fait réprimander par sa commissaire à l’environnement et au développement durable, Julie Gelfand, mardi 3 octobre. Le pays, neuvième plus gros pollueur de la planète, a émis en 2015 722 mégatonnes en dioxyde de carbone et s’est engagé à réduire ses émissions à 523 mégatonnes d’ici à 2030. Mais Mme Gelfand ne se fait pas d’illusion quant au respect de cet engagement par les dirigeants canadiens. « Ils ont établi plusieurs cibles dans le passé, et on ne les a jamais atteintes. Et là, on repousse encore à 2030 une nouvelle cible qui va être encore plus difficile à atteindre », a-t-elle déploré avant d’appeler le gouvernement à « passer à l’action ».