Des pesticides en doses toujours plus massives dans les campagnes
Des pesticides en doses toujours plus massives dans les campagnes
Par Martine Valo
Selon le ministère de l’agriculture, les agriculteurs ont consommé 9 % de plus de produits phytosanitaires en 2014. Le nombre de traitements est de l’ordre de 2,7 sur les choux-fleurs, 12 pour la tomate, 35 sur les pommes.
Traitement phytosanitaire d'un vignoble en Gironde. | Philippe Roy / Epicureans
Des pesticides en doses toujours plus massives dans les campagnes françaises : voilà ce que révèlent les statistiques que le ministère de l’agriculture a rendues publiques mardi 8 mars. Présentées en périodes lissées de trois ans afin d’intégrer les variations climatiques, elles dessinent une tendance moyenne à la hausse de 5,8 % entre 2011 et 2014. Mais si l’on s’en tient au tout dernier bilan, 2014 apparaît comme la deuxième année noire consécutive. La consommation de produits phytosanitaires dans le secteur agricole a bondi de 9,4 % par rapport à 2013, qui avait déjà connu une augmentation de 9 %. Et encore, ces données n’intègrent pas les produits néonicotinoïdes qui enrobent directement les semences.
Quant aux volumes bruts des ventes (en tonnes), le constat est plus sévère encore : les agriculteurs ont acheté 16 % de produits phytosanitaires en plus en 2014. Parmi ces derniers, ceux qui utilisent des molécules suspectées d’être cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction humaine, accusent une hausse de 13 % à 22 % selon l’indicateur retenu.
De leur côté, jardiniers amateurs et gestionnaires d’espaces verts semblaient avoir adopté une attitude plus soucieuse de l’environnement en réduisant leurs recours aux pesticides de 2,2 % en moyenne triennale, jusqu’à ce qu’une rechute ne fasse de nouveau grimper leur bilan de 10 % en 2014. Ils devront les abandonner définitivement au 1er janvier 2017.
Pouvoir de l’agrochimie
« Les résultats ne sont pas bons », commente-t-on sobrement dans l’entourage du ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll. Un constat qui a fait consensus autour de la table du Comité national d’orientation et de suivi du plan Ecophyto, qui réunit des représentants du ministère, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), les chambres d’agriculture, des associations écologistes. Lancé dans la foulée du Grenelle de l’environnement, en 2009, ce programme d’actions, essentiellement fondé sur la pédagogie, avait dans un premier temps pour ambition de réduire de moitié l’usage des herbicides, fongicides et insecticides d’ici à 2018, afin de « concilier performances écologiques et économiques tout en préservant la santé publique ». Le deuxième volet, Ecophyto 2, qui doit démarrer au printemps, a gardé l’objectif des 50 %, mais, plus réaliste, l’a repoussé à 2025.
Son budget, basé sur la taxe pour pollutions diffuses, passe à 71 millions d’euros pour 2016, alors qu’il s’élevait à une quarantaine de millions par an jusqu’à présent. Ce programme n’a-t-il pourtant pas fait la preuve de son inefficacité ? Le ministère répond que l’hiver doux et le printemps calamiteux n’ont pas aidé, que les Drosophila suzukii, des mouches qui s’attaquent aux fruits, se sont montrées particulièrement pugnaces. Et les prix bas des céréales ont été contrariants, car ils ont incité les producteurs à ne prendre aucun risque sur leurs récoltes et donc à les protéger par tous les moyens chimiques. On pourrait ajouter le poids des habitudes, le pouvoir de conviction des firmes de l’agrochimie et la capacité de pression des grandes coopératives, qui exigent de leurs adhérents un certain nombre de pulvérisations sur leurs futures récoltes, tout en leur vendant les produits à épandre.
En France, le nombre de traitements est de l’ordre de 2,7 sur les choux-fleurs, 8,5 pour les cerises, 10 sur les melons, 12 pour la tomate, 19 dans la viticulture, 35 sur les pommes. Mais les rendements ne progressent pas pour autant : céréales, oléagineux, poires, pommes, betteraves sont moins productifs qu’en 2009. Qu’importe, premier producteur en Europe, le pays reste le deuxième consommateur de produits phytosanitaires derrière l’Espagne. L’environnement en porte les traces. En 2013, 92 % des 2 950 points de surveillance de la qualité de l’eau laissaient apparaître au moins un pesticide ; et même dix substances actives au moins dans la majorité des cas.
Réseaux de pionniers bio
Stéphane Le Foll, qui ne manque pas une occasion de défendre en public l’agro-écologie contre les dégâts de l’agriculture intensive, semble prêcher dans le désert. Quant aux parlementaires, ils ont beau multiplier les missions d’étude et les alertes, ils ne semblent pas plus entendus. Pourtant, Dominique Potier (PS), député de Meurthe-et-Moselle, agriculteur bio, qui siège au Comité de suivi d’Ecophyto, ne se laisse pas gagner par le découragement. Au contraire, lui qui a rendu un rapport au premier ministre sur les pesticides fin 2014, voit dans ce sombre bilan la « confirmation qu’Ecophyto doit passer à la vitesse supérieure ». « Personne ne dénigre ce qui a déjà été fait, assure-t-il. Ceux qui ont été accompagnés dans leur changement de pratiques et qui ont réussi à réduire leur consommation de 20 %, voire 40 %, sans faire baisser leurs revenus, ceux-là vont nous aider. Je sens chez eux une forme de fierté qui doit devenir contagieuse ! »
Son optimisme s’explique par les scores remarquables des 1 900 fermes qui se sont engagées dans le réseau Dephy, mis en place à partir de 2012 dans le cadre d’Ecophyto, pour expérimenter des modèles de production inspirés de l’agro-écologie et diffuser la bonne parole. En deux ans, ces exploitations ont réduit leur recours aux pesticides : les grandes cultures de 10 %, l’arboriculture et la viticulture de 12 %, les légumes de 15 %, la canne à sucre de 22 % et l’horticulture de 38 % !
Ecophyto 2 devrait donc s’attacher à étoffer ce réseau de pionniers, le faire passer à 3 000 exploitations, puis à 30 000 et même à « 300 000 ou 400 000 agriculteurs qui vont se convaincre mutuellement », pronostique-t-on au ministère. En attendant, la culture bio a progressé de 5,4 % en 2014, puis de 11,8 % en 2015 pour atteindre un peu plus de 4 % de la surface agricole nationale.
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