Des acteurs palestiniens sur une scène française, c’est rare. Il y en a en ce moment à la Manufacture des Œillets, à Ivry (Val-de-Marne), où ils jouent Des roses et du jasmin, une pièce écrite et mise en scène par Adel Hakim, le codirecteur du lieu, avec Elisabeth Chailloux. Le spectacle a été créé en juin 2015 au Théâtre national palestinien, qui est situé à Jérusalem-Est, et qu’Adel Hakim connaît bien. En 2011, il y a créé Antigone, de Sophocle, qui a connu un beau succès, et a été reprise début janvier pour l’inauguration de la Manufacture des Œillets. A cette tragédie antique, Adel Hakim répond par une tragédie moderne, qui croise l’histoire d’Israéliens et de Palestiniens, de 1944 à 1988, à travers trois générations.

Il a fallu surmonter d’innombrables difficultés pour créer cette pièce. Un texte remarquable en témoigne : le journal de bord tenu par l’auteur Mohamed Kacimi pendant les répétitions. Mohamed Kacimi était auprès de son ami Adel Hakim pour travailler à la traduction et à la dramaturgie. Il raconte les conditions dans lesquelles le Théâtre national palestinien survit sans un sou et sous les menaces, le quotidien chaotique du travail, et les débats sur la pièce, à l’in­térieur de l’équipe et du conseil d’administration. Ce dernier voulait refuser Des roses et du jasmin, jugeant qu’elle accordait trop de place « au malheur du peuple juif ». Un homme d’exception s’y est opposé : le docteur Waël, chirurgien et principal mécène du théâtre : « L’art n’est pas de la propagande, il faut arrêter de dire que les juifs sont la cause de tous nos maux, il faut grandir, balayer devant notre porte, le monde bouge et nous sommes toujours là à pleurer 1948. »

Des roses et du jasmin commence quatre ans plus tôt, avec une histoire d’amour. Miriam, une jeune femme juive, a trouvé refuge à Jérusalem, où elle rencontre John, un jeune officier britannique. Ils tombent amoureux, se marient. A la fin de la guerre, Aaron, le frère de Miriam, arrive à Jérusalem. Il apprend à Miriam que leur mère et leur sœur sont mortes en camp. C’est un membre de l’Irgoun, l’organisation extrémiste qui, le 22 juillet 1946, perpètre l’attentat contre l’Hôtel King David où les autorités britanniques ont leurs bureaux. John meurt dans l’attentat, Miriam élève sa fille, Léa, et Aaron devient un membre influent de la droite israélienne.

Tragédie politique

Une nouvelle histoire d’amour ouvre le deuxième chapitre de la pièce : Léa tombe amoureuse d’un Palestinien. Elle a deux filles, qui vont se retrouver, à la fin de Des roses et du jasmin, l’une du côté ­israélien, l’autre palestinien… Adel Hakim assume l’aspect romanesque de cette trame, qui lui permet de montrer, à travers le temps d’une famille, comment s’est nouée une tragédie politique qui paraît sans issue, tant les murs de haine et d’incompréhension se sont densifiés, année après année. C’est contre ces murs que Des roses et du jasmin se bat, en dessinant leurs soubassements et leur édification à travers des personnages campés, facilement identifiables et humains.

L’écriture et la mise en scène, alertes, laissent toute latitude aux comédiens palestiniens, qui ont un très bel art du jeu expressif. Ni eux ni la pièce, à aucun ­moment, ne prennent les spectateurs de haut. Chacun s’y retrouve, quel qu’il soit. C’est là le grand mérite du spectacle : offrir du théâtre populaire, au bon sens du terme. Et c’est à cela que l’on pense, en sortant de cette nouvelle et chaleureuse Manufacture des Œillets.

DES ROSES ET DU JASMIN - Surtitre français
Durée : 07:57

Des roses et du jasmin, de et mis en scène par Adel Hakim. Avec Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Garbieh, Kamel El Basha, Yasmin Hamaar, Faten Khoury, Sami Metwasi, Lama Namneh, Shaden Salim, Daoud Toutah. Théâtre des Quartiers d’Ivry à la Manufacture des Œillets, Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne). Jeudi 2, à 19 heures ; vendredi 3, à 20 heures ; samedi 4, à 18 heures ; dimanche 5, à 16 heures (dernière). De 7 € à 24 €. Durée : 3 heures. En arabe surtitré. www.theatre-quartiers-ivry.com

La pièce est éditée par L’avant-scène théâtre (159 p., 16 €).