Les classes prépa, un marathon pour les parents
Les classes prépa, un marathon pour les parents
Par Maxime François
Avec l’intensité du rythme de travail et le stress du concours, la famille se transforme en cellule de soutien moral et en base arrière vitale pour l’équilibre de l’étudiant.
EMMANUEL KERNER
« Toute la maisonnée vivait sous une chape de plomb. Partager le quotidien d’un étudiant en prépa, c’est le bagne ! Il faut s’occuper de toute l’intendance, confie Lilia Coste, une jeune retraitée, dont le fils – un cas d’école –, insatisfait de son admission à Centrale Lyon, a doublé sa deuxième année de prépa scientifique au lycée Charlemagne, à Paris, pour intégrer Polytechnique.Un effort vain puisqu’il s’est soldé par un nouveau revers.
« Il mettait les pieds sous la table pile à 21 h 30 puis la quittait dès son repas englouti pour réviser. On devait aussi se coltiner ses sautes d’humeur. Impossible d’organiser un dîner à la maison avec des amis, même le chat le dérangeait, se souvient sa mère. En revanche, lorsqu’il voulait faire la fête, il me demandait que je lui envoie un SMS à une heure du matin pour lui dire de rentrer… Vous imaginez la régression ? Il était temps que cela cesse… »
Nerfs à rude épreuve
Si les années de classes préparatoires littéraires et scientifiques sont de véritables compétitions pour les élèves, les nerfs des parents sont eux aussi soumis à rude épreuve.
Avec l’intensité du rythme de travail, le choc des ego entre ex-premiers de la classe et le stress du concours qui n’en finit pas de monter, la famille se transforme en cellule de soutien moral et en base arrière vitale pour l’équilibre de l’étudiant. Mieux vaut ne pas attendre le moindre geste de reconnaissance de sa part. Et l’internat n’est pas le moyen d’y remédier !
« Mais c’est normal, nuance Laurent Lepetit, professeur de physique en prépa physique, chimie et sciences de l’ingénieur (PCSI) au lycée Descartes, à Tours. Pour ceux qui veulent faire partie des meilleurs élèves de France, c’est une compétition aussi intense que peut l’être une coupe du monde pour un sportif. Pour gagner, il faut soulever de la fonte. Les parents doivent prendre leur part du fardeau et être à l’écoute, même si c’est parfois pénible. »
Transformés en hommes-orchestres
Diane Lefort, dont la fille est désormais diplômée de l’Ecole nationale supérieure, rue d’Ulm, à Paris, a dû faire preuve de disponibilité, d’écoute et d’humilité lorsque sa fille a quitté la maison, à l’âge de 16 ans. « Si au son de sa voix j’entendais que ça n’allait pas, je sautais dans ma voiture pour la rejoindre », dit-elle. Des situations complexes à gérer au quotidien, alors « forcément, ça empiète sur la vie de couple ».
La solution ? Une organisation millimétrée pour s’occuper de ses cinq enfants et de sa vie privée. « C’était l’armée napoléonienne : votre enfant est en première ligne, vous êtes la deuxième ligne et le reste de la famille est la troisième ligne, détaille l’ancienne professeure d’histoire. Ma fille s’envolait intellectuellement et mon mari et moi avions le sentiment d’être de vieux cons. C’est dur : il faut à la fois être présent pour les accompagner puis accepter de s’effacer lorsque c’est nécessaire. Une matinée m’a particulièrement blessée : elle avait besoin de moi tôt pour que je l’accompagne en voiture à un oral. L’après-midi, elle m’a écartée pour être avec ses copines. J’ai pris une belle paire de baffes, ce jour-là. »
Nombre de parents se retrouvent ainsi transformés en hommes-orchestres : à la fois chauffeurs privés, centrale d’appels téléphoniques ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, hôteliers et restaurateurs.
Les mêmes n’hésitent pas à accorder des concessions à « la taupe qui reste enfermée dans sa chambre », au risque de faire voler en éclats les règles imprescriptibles du débarrassage de table durement établies après plusieurs années d’un combat acharné (« Parce que tu comprends, elle est en prépa ! »). Et l’histoire se répète avec le scooter, toujours refusé pour les aînés mais acheté pour le benjamin – bien qu’il ne l’ait jamais demandé, pour le même motif irréfutable.
« Chacun a une place »
Des concessions « saines », selon Christophe Ferveur, psychologue au Relais étudiants lycéens de Paris, une structure qui propose un accueil psychologique et pédagogique spécifique pour les élèves surmenés.
« Il n’y a pas de honte à céder sur certains désirs de ses enfants et d’avoir l’impression d’être largué. Chacun a une place et c’est le rôle des parents d’être à l’écoute et de chouchouter leurs enfants à outrance, s’il le faut, dit le spécialiste. S’il demande, l’air de rien, qu’on lui cuisine son petit plat préféré, il faut le faire. S’il téléphone tous les jours tard le soir et préfère être dans sa bulle avant un examen, il faut l’accepter aussi. Un manque d’écoute et parfois de distance peut vite devenir dramatique. »
Car les tragédies existent et la souffrance d’un jeune étudiant, dont la famille est à plusieurs centaines de kilomètres, peut passer inaperçue. « Après avoir loupé l’oral d’entrée à l’Ecole normale supérieure, j’ai craqué. J’avais des idées noires, jusqu’au jour où j’ai voulu sauter par la fenêtre. Un ami m’en a empêchée », confie Marianne, une ancienne étudiante en khâgne au sein du prestigieux lycée parisien Henri-IV.
L’aboutissement d’une dépression causée par la pression qu’elle se mettait elle-même face aux exigences de « ce fichu cadre ». Originaire de province, la jeune femme mettra plus d’un an à confier sa détresse à ses parents.
Aujourd’hui en voie de guérison, « grâce à des antidépresseurs », elle doit son rétablissement au même ami qui l’a orientée au moment opportun vers le Relais étudiants lycéens. La structure accueille chaque année environ 90 élèves surmenés sur les 15 000 étudiants parisiens en classe prépa. De quoi relativiser le cas de cette jeune femme qui s’est tournée vers des professionnels compétents, parce que, selon elle, « il faut des personnes formées à qui se confier car les parents ne suffisent malheureusement pas ».