Opération de sauvetage au large de la Libye, le 3 février. | Emilio Morenatti / AP

Soucieuse de fermer la route de la Méditerranée centrale, empruntée en 2016 par 181 436 migrants et candidats à l’asile arrivés en Italie – essentiellement des Africains subsahariens –, l’Union européenne doit atteindre une série d’objectifs : traiter avec un Etat libyen qui n’existe que sur le papier, faire respecter la protection de ces migrants par Tripoli et tenter de mettre en œuvre les initiatives qu’elle envisage depuis des mois. A savoir la formation de gardes-côtes libyens capables d’enrayer l’activité des passeurs, la lutte contre le trafic d’armes et un soutien économique, sanitaire et éducatif à un pays dévasté.

Un programme qui est loin d’être concrétisé, comme l’a confirmé, lundi 6 février, une réunion des ministres des affaires étrangères, à Bruxelles. Ils de­vaient en quelque sorte « traduire » la déclaration signée vendredi 3 février, à Malte, par des chefs d’Etat et de gouvernement, surtout soucieux d’éviter une nouvelle crise migratoire, comme celle de 2015, et toutes les critiques qui s’ensuivraient.

Les ministres se sont, en réalité, limités à des appels aux autorités libyennes. Elles sont d’abord invitées à « redoubler d’efforts » pour faire respecter les droits des migrants dans les centres de détention. C’était déjà le sens d’une « lettre d’intention », signée jeudi 2 février par l’Italie et la Libye. ­Selon celle-ci, Rome s’engage à contribuer à l’amélioration des conditions de vie dans ces centres et à renforcer son soutien aux gardes-côtes libyens par une aide financière et un soutien aux ONG et aux institutions de l’ONU.

Le lendemain, le Conseil européen affichait son soutien à cet accord de principe, qui énonce que les camps de détention seront chargés d’accueillir des migrants, « sous le contrôle exclusif du ministère de l’intérieur », en « attendant leur rapatriement ou leur retour volontaire dans leurs pays d’origine ».

C’est la disposition la plus controversée du plan européen. Comment la Libye pourrait-elle traiter des demandes de candidats au statut de réfugié, alors qu’elle-même n’est pas signataire de la convention de Genève de 1951 ? Et que le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) n’a pas de présence véritable en Libye, en raison de l’insécurité qui y règne ?

« C’est une fiction cynique et dangereuse, dénonce Arjan Hehenkamp, directeur général de Médecins sans frontières Pays-Bas, qui a récemment visité des camps libyens. On préconise le renvoi de migrants dans un pays jugé trop instable pour que les diplomates européens ou les agents de l’ONU acceptent eux-mêmes de s’y installer. »

Malnutrition

Les conditions de détention dans ces centres surpeuplés et la légalité de leur statut sont problématiques. La violence, l’insalubrité et la malnutrition y règnent. Ces structures sont, en réalité, maîtrisées par des entités non étatiques, et non par le ministère de l’intérieur. « Nombre d’entre eux sont de facto liés à des milices », met en garde Mattia Toaldo, expert au Conseil européen des relations internationales. Ces structures ne sont souvent que le maillon d’un vaste système de trafic d’êtres humains. « Les milices rachètent souvent des migrants pour les livrer ensuite à du travail forcé ou les remettre sur des bateaux en partance pour l’Europe au prix fort », affirme M. Toaldo.

Est-il possible d’humaniser ces centres avant de les financer, comme le préconise l’Italie ? Lundi, les Vingt-Huit ont condamné les violations des droits de l’homme et appelé à garantir « un accès sans entraves et sûr » à ces structures pour les travailleurs humanitaires. Des observateurs jugent que les Européens vont, en réalité, conforter les milices et les gangs.

Les gardes-côtes eux-mêmes ne sont pas dépourvus de connexions troubles. Selon des témoins, les seuls bateaux qu’ils saisissent en mer sont souvent ceux de passeurs qui ne bénéficient pas de protections assez élevées. L’UE, qui espère former plusieurs centaines d’hommes – quatre-vingts seulement l’ont été jusqu’ici –, concède, elle-même, que l’une des difficultés consiste à identifier préalablement des individus qui ne sont liés ni aux passeurs ni aux adversaires du fragile gouvernement de Tripoli. La petite flotte de garde-côtes libyens aurait toutefois intercepté, en 2016, quelque 20 000 candidats au départ.

Une autre difficulté majeure pour l’UE est d’ordre politique. La Libye est fragmentée et les autorités de Tripoli n’exerçant qu’une tutelle formelle, circonscrite à quelques poches de la Tripolitaine (Libye de l’Ouest). Le gouvernement dit « d’union nationale » de Faïez Sarraj, soutenu à bout de bras par l’ONU et les Occidentaux, ne maîtrise guère un terrain livré aux milices.

Les ministres européens encouragent donc désormais un dialogue entre M. Sarraj et son rival, Khalifa Haftar, l’homme fort de la Cyrenaïque (est du pays), à la tête d’une force de quelques milliers d’hommes. Les Européens, même s’ils répètent que M. Sarraj incarne la seule autorité légitime, évoquent désormais la nécessité de rendre les institutions « plus représentatives » et se disent « prêts à accompagner un changement politique ».

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L’Union européenne est, en fait, au cœur d’un jeu diplomatique qui implique aussi la Russie et l’Egypte. M. Haftar, formé à l’école soviétique, est très courtisé par Moscou, qui entend accroître son influence dans cette zone. Et Le Caire a récemment indiqué à la diplomatie bruxelloise – par l’entremise de la Hongrie – sa disponibilité pour aider à trouver une solution. En échange, toutefois, d’une aide financière et d’un appui pour le contrôle de ses frontières.

Le dernier casse-tête, pour les Européens, est la question du refoulement automatique de migrants vers la Libye. L’Italie avait conclu deux accords bilatéraux en ce sens avec Mouammar Kadhafi, en 2007 et 2009. D’autres pays ne sont pas hostiles à ce principe, malgré les objections formulées en 2012 par la Cour européenne des droits de l’homme. « Ce serait grave pour les valeurs de l’Union d’en arriver là car, pour l’instant, la Libye n’est ni un pays stable ni un Etat de droit », juge le ministre luxembourgeois des affaires étrangères, Jean Asselborn.