L’actualité propose parfois de curieuses coïncidences. Alors que le parquet national financier (PNF) s’est saisi de l’enquête préliminaire sur les « détournements de fonds publics » reprochés à François Fillon – ce dernier lui en contestant la compétence –, l’Assemblée nationale tire un premier bilan de la loi du 6 décembre 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière qui a créé, précisément, le PNF.

Créée après le scandale de l’affaire Cahuzac, cette nouvelle institution judiciaire, compétente pour les procédures d’une grande complexité, notamment dans les affaires « susceptibles de provoquer un retentissement national ou international de grande ampleur », avait à l’origine essuyé des interrogations nourries. « Tous ceux qui, à la création du PNF, avaient exprimé leur hostilité reconnaissent aujourd’hui son utilité, sa compétence et son caractère incontournable », note Sandrine Mazetier, députée (PS) de Paris et corapporteur, avec Jean-Luc Warsmann, député (LR) des Ardennes, du rapport d’évaluation de la loi de 2013 rendu public mercredi 8 février.

Dans ce document, les auteurs plaident avant tout pour une stabilité du cadre juridique définissant les compétences du PNF et pour la sanctuarisation des moyens dont il devait disposer. L’étude d’impact de 2013 prévoyait en effet que lui soient affectés 22 magistrats, 21 fonctionnaires de greffe et 5 assistants spécialisés. L’objectif de départ était que chaque magistrat traite en moyenne huit dossiers. En octobre 2016, le PNF comptait 15 magistrats, chacun ayant un ratio moyen de vingt-sept dossiers, 10 fonctionnaires et 4 assistants spécialisés.

A cette même époque, le PNF avait 360 procédures en cours, soit 100 de plus que ce qui avait été envisagé. « Le PNF a atteint aujourd’hui son seuil critique, au-delà duquel il ne sera plus en mesure, compte tenu de ses moyens, d’apporter la plus-value attendue pour le traitement des dossiers économiques et financiers les plus complexes dont il est saisi », note Eliane Houlette, procureur national financier, auditionnée par la commission des lois de l’Assemblée nationale.

« Blocages »

Pour 45 % d’entre elles, les procédures portent sur des atteintes à la probité (corruption, trafic d’influence, favoritisme, détournement de fonds publics), 43 % sur des atteintes aux finances publiques (fraude fiscale aggravée, blanchiment, escroquerie à la TVA) et 12 % sur des atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers (délit d’initié, manipulation de cours).

Près de la moitié des procédures ont pour origine un dessaisissement d’un autre parquet, 29 % une transmission directe par une autorité publique et 8 % sont à l’initiative des magistrats du PNF, comme c’est le cas dans l’affaire Fillon. Pour réduire le délai de traitement des procédures, le recours aux enquêtes préliminaires est privilégié. Les rapporteurs relèvent toutefois des difficultés en matière de poursuite des personnes morales. « Elles peuvent encore trop facilement échapper aux sanctions et celles-ci ne sont pas assez dissuasives », jugent-ils. Sur ce point, une évolution leur semble nécessaire.

Au-delà du risque de saturation du PNF, les rapporteurs s’alarment de l’insuffisance des moyens dont disposent les juridictions interrégionales spécialisées. « Là, il y a vraiment des efforts à faire », insiste Mme Mazetier. Ils constatent également que subsistent des « blocages » entre administrations, notamment dans l’accès aux bases de données. En outre, il reste toujours aussi difficile pour les parlementaires d’avoir une vision claire des transactions fiscales engagées par Bercy. A cet égard, la loi prévoyait une information du Parlement, ce rapport n’a jamais été fait. « Il ne peut pas y avoir de suspicion sur l’activité de l’administration fiscale », déplore la députée. Bilan globalement positif, donc, mais attention : sur les moyens, les clignotants sont au rouge.