Trump ou la rue trahie
Trump ou la rue trahie
Editorial. Après s’être entouré d’anciens loups de Wall Street dès son élection, le président américain lance le détricotage de la régulation financière. On est loin des accents populistes de la campagne, où il prétendait dénoncer la trahison des élites.
Manifestation contre les deux décrets signés par Donald Trump qui visent à revenir sur la loi Dodd-Frank, le 7 février, à New York. | Drew Angerer / AFP
Editorial du « Monde ». Ce devait être la revanche de Main Street contre Wall Street, de l’homme de la rue contre les banquiers, la victoire de Donald Trump sur Hillary Clinton. Il n’en sera rien. Dès son élection, le président s’est entouré d’anciens loups de Wall Street passés par Goldman Sachs – Gary Cohn nommé directeur du conseil économique national de la Maison Blanche, et Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor. Surtout, Donald Trump a signé, vendredi 3 février, deux décrets visant à revenir sur la loi Dodd-Frank, qui régule la finance depuis la terrible crise de 2008.
Pour faire son annonce, Trump s’est entouré non pas des cols bleus de la « ceinture de rouille » (Rust Belt) qu’il prétendait défendre et qui ont fait sa victoire, mais du Big Business qu’il a reçu à la Maison Blanche, en particulier Jamie Dimon, patron de la banque d’affaires JPMorgan Chase, et Stephen Schwarzman, patron du fonds d’investissement Blackstone. On est loin des accents populistes de la campagne, où Trump prétendait dénoncer la trahison des élites américaines.
Groupes de pression de Wall Street
Le président s’est plaint de ce que ses amis du business ne pouvaient pas obtenir d’argent des banques à cause de la loi Dodd-Frank. L’argument est peu convaincant, rapporte le New York Times : les entreprises engrangent des profits, leur cours de Bourse s’envole, le montant des prêts accordés atteint des records, même s’il est vrai que les prêts aux PME n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant la crise.
En réalité, Trump cède aux groupes de pression de Wall Street en s’attaquant à trois piliers de cette loi adoptée en 2010 sous Barack Obama, contre l’avis de l’opposition républicaine de l’époque. D’abord, la réglementation dite « Volcker », du nom de l’ancien président de la Réserve fédérale, qui interdit aux banques de spéculer pour leur propre compte. Ensuite, le Bureau de protection financière des consommateurs (CFPB), chargé de réguler les cartes de crédit et les prêts immobiliers, à l’origine de la terrible crise de 2008 : il est accusé de restreindre l’accès des particuliers au crédit. Enfin, Trump veut réécrire la loi fiduciaire, qui devait entrer en vigueur en avril : celle-ci forçait les professionnels de la finance à agir dans l’intérêt de leurs clients dans la gestion de leurs fonds de pension et ne pas les orienter vers les placements à commissions élevées.
Wall Street rétorque que cette mesure va multiplier les contentieux et conduire les gestionnaires à investir dans des placements peu risqués et donc moins rémunérateurs. D’une manière générale, Wall Street se plaint des contraintes réglementaires et prudentielles coûteuses imposées après 2008.
Soutien sans faille du Parti républicain
L’offensive de Trump montre, en creux, combien la finance a été régulée depuis une dizaine d’années. Le détricotage prendra du temps, mais le président bénéficiera du soutien sans faille du Parti républicain. Ce dernier engage actuellement un autre combat : la réduction du taux d’imposition des entreprises, que Donald Trump veut fixer à 20 %, contre 38 % aujourd’hui. La majorité républicaine voit dans l’élection de Trump la chance historique de chambouler de fond en comble le code des impôts.
Wall Street peut s’enivrer de nouveau, mais pour combien de temps ? La folie financière a failli détruire trois fois le capitalisme américain et mondial en moins de dix ans : la bulle Internet de 2000, la crise immobilière dite « des subprimes » de 2007 et la faillite des banques en 2008. Ces gens-là n’ont pas de mémoire.